Vidéo - Présentation de Bezannes
Si Bezannes m’était conté ...
Les petites histoires de la grande histoire font rejaillir des souvenirs émouvants de la vie des habitants. Pour cela, il vous suffit de cliquer sur un chapitre pour vous transporter aussitôt dans le passé récent du notre village.
Arrivée à Bezannes en 1971, Huguette GUYARD a été séduite par le charme discret de ce village champenois, par la vie associative qui s’y développait, et a immédiatement rejoint le Foyer Rural, alors en plein essor, dont elle fut la secrétaire pendant des années.
Dès la création de « la Gazette » en 1977, elle participa à sa rédaction et écrivit, entre autres, les souvenirs d’un ancien bezannais, Robert LAGAUCHE.
En 1984, elle entreprit d’interroger les « Anciens » du village. Leurs souvenirs entremêlés, racontés d’une façon familière (comme dans les veillées d’autrefois) témoignent de l’évolution de Bezannes, petit village exclusivement agricole, devenu en quelques décennies, village résidentiel.
En 1992, c’est tout naturellement qu’elle créa, avec un groupe de bezannais, une association de défense du patrimoine et de l’environnement dans ce village où l’avenir et le passé se doivent de cohabiter harmonieusement.
Autrefois, Bezannes était un village essentiellement agricole. Monsieur LAGAUCHE arrive à se remémorer toutes les fermes qui étaient en fonction du temps de sa jeunesse. Il y avait : le ferme Sainte Thérèse VEROUDARD, le ferme GOUSSIER, les fermes de messieurs LABASSE, Charles Griffon, Allard, Emile Bougie, BOINVILLE, Régisseur, COLLARD, DRAVENY, Arsène Froment, Gabriel Gaillot, LAGETTE, MARLIER, Louis LAMY, Parmentier, PISTAT, TRITANT, VERNIER, les laiteries KAUFFMAN, DELARBRE, Charles LAPLANCHE, et toute la vie tournait autour de ces fermes. Il y avait plus de 60 chevaux, les attelages étant de trois par culture. Et puis les troupeaux de moutons conduits par le berger DUROT qui circulaient sur la place, allant de l’abreuvoir à leurs bergeries, ajoutaient de l’animation.
La place vivait au milieu de ces bruits familiers, dans un va-et-vient de charrues, de canadiens, de semoirs, et comme les terres étaient morcelées, cela faisait un vrai remue-ménage car on devait traverser les rues du village pour aller d’un champ à l’autre. A la moisson, c’était les faucheuses, les râteaux, les faneuses pour les foins, les lieuses pour les blés. Ensuite, il y avait les enfants et les personnes qui allaient glaner. Et puis, aussitôt après la moisson, c’était les chasseurs qui parcouraient le terroir en tirant perdrix et lièvres... Monsieur LAGAUCHE revoit tout cela.
Et au milieu de ces allées et venues, il y avait les deux cafés. Avant d’aller aux champs, les commis de culture, les fermiers, s’arrêtaient chez Madame LALUCQ, chez madame AUBIN. Ils y repassaient parfois dans la journée, et en tous cas le soir, pour prendre un verre bien s ?r, mais aussi, surtout, pour se rencontrer, pour communiquer, blaguer, jouer aux cartes.
Parmi ces agriculteurs, certains possédaient de grosses fermes. Ces grosses fermes, on les reconnaissait à leur tas de fumier qui trônait, majestueux, au milieu de la cour, témoignant du nombre de bêtes possédées. Mais les autres, les plus nombreux, vivaient simplement de leur ferme, sans plus. Ceux-là disparaîtront petit à petit. Ils ne résisteront pas à l’arrivée de la mécanisation, après la guerre. D’autres devront se battre, se moderniser, racheter en s’endettant les terres que leur proposeront les héritiers des anciens gros propriétaires disparus : trouver de nouvelles terres pour remplacer toutes celles qui seront expropriés lors de l’agrandissement de Reims, ces terres qui sont leur outil de travail. mais ce qui avait surtout changé le destin de nombreux cultivateurs, ç’avait été la guerre de 14, meurtrière qui avait touché de nombreux foyers et anéantis des familles entières. Ainsi, la famille BOUGIE avait perdu ses quatre fils. La famille GOUSSIER en avait perdu deux à la guerre de 14 et le troisième à la guerre de 1940. la famille LABASSE ne s’était jamais remise du décès de son fils unique Pierre. les LABASSE si respectés à Bezannes et qui, en plus de leur ferme, exploitaient la blanchisserie de la rue de Baconnes cette blanchisserie tellement importante, l’une des premières de France, à l’outillage si perfectionné pour l’époque, employait une vingtaine d’ouvrier entre la laverie et l’atelier de repassage, et parmi eux de nombreux Bezannais, travaillant sur deux circuits, l’un, industriel pour l’entretien du linge des hôtels, l’autre, à la main pour la clientèle particulière.
Dans les champs, rien n’était nivelé et on rencontrait partout de grands trous. Monsieur LAGAUCHE garde le souvenir d’un vieux maçon qui fabriquait des carreaux de terre. Il prenait de la terre en surface, derrière la ferme de Monsieur Gaillot, entre la Muire et le Chemin des Hautes Feuilles. Ce coin était toujours imprégné d’eau, il suffisait de découper cette terre compacte, d’emplir les moules deux par deux et de déposer ensuite les pavés de terre les uns sur les autres, sur un mètre de hauteur, en laissant des lucarnes pour le séchage. Après quoi les carreaux étaient utilisés avec un peu de mortier de chaux mélangé de terre.
Toutes les maisons du village étaient construites en carreaux de terre, matériau des plus résistant quand il est bien protégé. Seuls impératifs : éviter les infiltrations d’eau, vérifier les gouttières et surveiller les bas de mur. Ceux-ci reposent toujours sur quelques rangées de pierre dure qui doivent rester apparentes. Veiller à ne pas les recouvrir de terre par des plates-bandes, l’humidité entrerait et votre mur retournerait à la terre.
Dès 1948/1949, il fallut aller faire pasteuriser le lait. Dans les débuts, ce n’était pas très perfectionné. Il fallait aller porter rue Ponsardin le lait qui était déversé dans de grandes citernes, chauffait à 70° puis refroidit brusquement. Et il fallait attendre qu’on vous redonne du lait pasteurisé que vous iriez livrer à la clientèle en porte à porte. Parfois, le lait tournait au cours de l’opération. On vous le remplaçait bien une fois ou deux mais après, bine souvent, le laitier en était de sa poche. Plus tard, heureusement, rue de Courlancy, tout s’était modernisé. Pendant ce temps, à Bezannes, on continuait à s’approvisionner chez Madame KAUFFMAN, chemin des Têtes de Fer. Donc les voitures étaient rares, l’essence contingentée, le fer ne s’achetait qu’avec des tickets et, dans ces conditions, les choses n’étaient pas simples non plus pour les Ateliers DERVIN ; et c’est à bicyclette que Monsieur Henri DERVIN allait réparer les machines dans les champs ... Parfois jusqu’à Sacy. Mais, bientôt, un débouché imprévu se présenta : le ferrage des jougs de bœufs. Et oui, on avait recours aux bœufs dans de nombreuses fermes bezannaises. Il faut dire que dès 1939, les voitures avaient été réquisitionnées par les militaires français.
En ce temps-là les bezannais restaient entre-eux. Aucune distraction ne venait de l’extérieur. Ils se réunissaient souvent entre hommes, et tout était prétexte à de grosses ruses, à plaisanteries bon enfant. Lors de ces réunions, dans l’un de nos deux cafés, on se racontait des blagues, les faces d’autrefois et, parmi celles-ci, on revoyait le jour o ? Monsieur Hérisson, le maire, devant avoir une grande réception avec le Sous-préfet, avait conduit à la blanchisserie LABASSE la fine chemise blanche qu’il porterait pour l’occasion.
Monsieur LABASSE, au lieu d’amidonner le plastron comme c’était l’habitude, avait complètement empesé la chemise, du haut en bas... et tous les hommes étaient dans le secret. Et puis, au café AUBIN, on était accueilli par Coco, le perroquet. Il était de toutes les fêtes, fêtes qui avaient repris exactement comme avant : la fête patronale sur la place, et le 14 juillet dans le jardin du café. Coco ? Madame Nicole ROUGET (l’une des filles de Madame MATHIEU l’institutrice de cette époque) le revoit trônant en bonne place, entouré des enfants qu’il amusait, à ces fêtes du 14 juillet qui avaient autant de succès qu’avant la guerre. Mais un jour Coco mourut, empoisonné. Lors d’un repas de noces bezannaises, quelqu’un lui avait donné à manger du persil qui est mortel pour les perroquets. Coco le perroquet, Noisette le sanglier, ils sont toujours au café Aubin empaillés. Les jeunes venaient nombreux au café de la Place. Il en venait même d’Ormes et des villages voisins. Mais en cette période d’après-guerre, bien des choses étaient en train de se modifier dans les habitudes, dans la mentalité des villageois et, à Bezannes, rien ne serait plus vraiment comme avant. Progrès...évolution des meurs... aux joies de la nature, les rémois préféraient maintenant les plaisirs de la ville et les nombreuses distractions offertes. Les bezannais aussi. Quant aux rémois qui recherchaient encore la nature, et bien ils allaient la chercher plus loin en voiture. Les Bezannais aussi. Dans le fond, quand on y réfléchit, les changements, c’est à ce moment-là qu’ils avaient commencé. Juste après la guerre. Il y avait eu le remembrement. Commencé en 1942 à l’instigation de Monsieur VERNIER, il était maintenant terminé. Avant, les agriculteurs possédaient souvent de petites parcelles de terre qui se chevauchaient, s’imbriquaient les propriétés voisines, créant des complications, des litiges, et une perte de temps évidente, difficultés qui ne pouvaient être qu’aggravées avec l’arrivée des machines agricoles. Alors on avait regroupé ces terres du mieux qu’on avait pu, on avait créé des chemins plus rationnels. C’avaient été un énorme travail, mais la vie des gens avait été changée.
De Bezannes à la ferme de Maison Blanche il n’y avait que des champs.
Une photo de moisson de la famille LALLEMENT, a été pris sur l’un de ces champs... Comment savoir lequel ? Peut-être à l’emplacement de l’hôpital Robert Debré, ou bien devant le groupe scolaire de la cité de Maison Blanche ou encore vers la croix du sud, vers le soleil couchant, plus proche de Bezannes, comment savoir puisqu’à cette époque, à part l’hôpital Maison Blanche et quelques maisons en bordure de route, et d’un seul côté, il n’y avait que des champs à perte de vue. Quant à cette charmante route qui longe la ferme de Maison Blanche, c’est bien sûr la route d’Epernay (dont on retrouve fort bien la continuation quand on passe devant la ferme de Murigny (société Gervais) et devant la maison de champagne BESSERAT de BELFON).
Dans ce champ où vont paître ces vaches, il y a maintenant l’école de pharmacie et, à la place du jardin de la ferme, il y a maintenant le château d’eau.
Formant une enclave dans le jardin de la ferme, au coin d’une rue, un Goulet Turpin. à l’autre coin, " la chaise au plafond ". Cette rue, elle descendait directement à Bezannes.
A l’autre coin de cette rue menant à Bezannes, sur la route d’Epernay, il y avait la " chaise au plafond ". Cet établissement agrandi, rénové, appelé café des sportsmen, est entré dans l’histoire le 14 septembre 1914. Lors d’un affrontement entre français et allemands, le café fut endommagé et une chaise projetée en l’air s’encastra dans le plafond et on en fit le symbole de la victoire française sur les Allemands... Victoire provisoire.
Avec ses arbres et ses trottoirs herbus, la place des années 30 a retrouvé tout son charme. Si ce n’était, la présence des poteaux électriques (installé entre 1919 et 1926), la rue de l’ancien château tellement élargie, et la superbe voiture garée le long du trottoir, on croirait presque revoir la place telle qu’elle était à la fin du siècle dernier. Et puis, au fond, derrière la Citroën B 14, c’est un troupeau de moutons qui longent le mur de la rue du battoir et s’apprête à tourner dans la rue de l’ancien château. C’est sans doute le berger de la ferme Griffon (Monsieur Mathieu) qui ramène le troupeau de l’herbage. Il y avait deux bergers à Bezannes, celui de la ferme Griffon, et celui de la ferme MARLIER (Monsieur MAUPRIVEZ). Durant toute la belle saison, ils gardaient les troupeaux dans les herbages, pâtures des environs du village, couchant sur place dans de petites cabanes. Jeanne Aubin, tout le monde l’aimait à Bezannes. Lorsqu’elle devint veuve, elle continua à exploiter le café épicerie de la place. Dans l’arrière-boutique garnie de rayonnages et de grands tiroirs de bois, cette pièce est restée inchangée, tout comme l’étonnante grande cage grillagée de 1914. Son fils Pierre ne souhaitait pas travailler au café. Il préférait la boucherie. Il partit donc en apprentissage à Paris, puis à Reims, et, dès qu’il le put, il créa une boucherie à Bezannes, dans la grande rue. Entre-temps, il s’était marié. Il avait épousé Mademoiselle LALLEMENT dont le père tenait la ferme de Maison Blanche, tout près d’ici... Puisque de Bezannes à la ferme de Maison Blanche il n’y avait que des champs, et que de sa fenêtre la jeune Marguerite ne voyait que Bezannes.
Et puis l’état d’esprit des gens n’avait pas changé non plus, ou si peu.
C’était la même façon d’être dans la vie de tous les jours, d’appréhender les problèmes dans la simplicité, le même côté bon enfant, la recherche de plaisirs tout simples.
Ne serait-on pas tenté de parler de sagesse ? De bonheur ? En tous cas, quand on regarde cette petite photo du café prise en 1935/1936, cette toute petite photo o ? se trouve Pierre AUBIN, sa jeune femme, des serveurs, et des clients endimanchés, on ne peut s’empêcher de penser qu’elle marque pour nous la fin d’une époque, la fin d’un monde.
Bientôt, ce serait à nouveau la guerre. En France, après la guerre, les choses seraient-elles encore comme avant ?
Au Café de la Place, après la guerre, rien ne serait plus vraiment comme avant.
Il y avait des prisonniers français à Bezannes. Au début, ils semblaient libres. Ils travaillaient dans les fermes et certains furent chargés des réparations électriques.
Un jour, l’un d’eux fut électrocuté en haut d’un poteau, à l’entrée de la route des Mesneux. On parla d’accident, de courant remis trop tôt, mais ne parla-t-on pas aussi de suicide, de peur d’aller en Allemagne ?
Les bezannais avaient créé des liens d’amitié avec ces prisonniers. Madame DIEDERICH revoit encore son petit garçon prendre chaque jour sur son propre repas pour aller porter à manger aux prisonniers.
Dans toutes les fermes on les aidait en cachette, comme on pouvait. On les croyait libres... de même, Monsieur Elie Habert qui avait été pris dans les environs, eut le droit de regagner Bezannes pour faire la moisson. On lui demandait simplement de se faire pointer à la kommandantur... Comment aurait-il pu se sauver, aurait-il pu ne pas se faire pointer ? Au début, c’était un peu la débandade et on sait que certains l’ont fait. Mais la plupart d’entre eux n’y pensaient pas ou avaient peur des représailles. En tout cas, très vite, ce ne fut plus possible et lorsque ces prisonniers furent repris et enfermés une semaine à l’école des Mesneux, lorsque ensuite Madame HABERT traversa tout le village en courant, affolée, avec ses deux enfants, avec Madame REKSA, avec des voisins, pour essayer de joindre la troupe de prisonniers qui traversait notre village en rangs serrés, tout le monde fut là pour la réconforter : qu’elle se rassure, ils n’iraient pas loin, ça ne durerait pas longtemps, la guerre était finie ...
Personne ne songea un seul instant que ces hommes étaient en route pour l’Allemagne et qu’ils y resteraient cinq ans et demi. Plusieurs bezannais furent dans ce cas : il y eut Monsieur Pierre Aubin ; il y eut Monsieur Reksa ; puis Monsieur Marcel TRITAN pour qui ces cinq années s’ajoutèrent, sans transition aux trois années de service militaire qu’il venait de faire et qui se trouva éloigné des siens pendant huit ans ; il y eut Monsieur Robert LAGAUCHE qui fut pris dans l’Est par des SS, vécut des moments abominables et, malade, fut rapatrié en août 41 à Bezannes ou il lui fallut des mois pour guérir.
Comment pourrait-on en quelques lignes relater tous leurs souvenirs ? C’est impossible ...
Et pourtant ... Imaginez, imaginez un camp allemand au fin fond de la Bavière. Dans ce camp, 8000 prisonniers. Robert LAGAUCHE est là, sans nouvelles de sa famille bezannaise. Et voilà que dans ce camp où jamais, absolument jamais rien ne devait traîner, il remarqua un petit papier par terre : tout petit papier maculé de boue : c’était un article de l’Eclaireur de l’Est, une annonce. Bouleversante. Imaginez encore... Dans ce même stalag, un nouvel arrivage de prisonniers français. Avant la fouille et la douche, on les parque dans une baraque de toile. Monsieur LAGAUCHE, toujours à la recherche de nouvelles, furète partout ; avec deux camarades, il arrive à dénouer une corde et se faufile dans la tente. Là, il demande à tout hasard, si quelqu’un a des nouvelles de la Marne. Des nouvelles de la Marne, il va en avoir ... Deux de ces hommes viennent du camp des Mesneux. Ils ont travaillé à Bezannes, ont participé aux travaux électriques. Le fil de cuivre, c’est chez Madame LAGAUCHE qu’ils l’ont acheté. Leur pain, c’est Monsieur LAGAUCHE père qui leur vendait. Bezannes, ils l’ont traversé à pied avec le petit groupe en partance pour l’Allemagne. Monsieur Sylvain Lambert, l’instituteur, lui, fut blessé en juin 1940, très gravement atteint à la jambe, il dut rester en zone libre jusqu’à son rétablissement. Monsieur François DIEDERICH, lui, avait déjà fait la guerre précédente pendant quatre ans, dans les tranchées de Verdun, et pourtant à 39 ans, il se trouva " requis " en raison de sa spécialisation d’ajusteur, et envoyé jusqu’à l’évacuation, à la cartoucherie de Vincennes. Et puis, le saviez-vous ? Un autre bezannais participa à cette guerre, en tant que militaire de carrière. Il n’avait pas été beaucoup dans notre village car il avait été mis très jeune dans les enfants de troupe par son père militaire. Les bezannaises souviennent mieux de son frère qui était en classe avec eux, mais Monsieur Jean KAUFFMANN revoit bien ce jeune garçon qui habitait la longue maison de la rue de Marconville. Cet ancien bezannais, c’est Yves GIBEAU. Il n’oubliera pas cette guerre, ni surtout son séjour aux " enfants de troupes " qui lui inspira un livre célèbre " allons z’enfants " dont Yves Boisset tira un film dernièrement.
A Bezannes, on y revient toujours !
Ce que fût la guerre de 1914 à Bezannes, on a bien du mal à se l’imaginer de nos jours.
Pendant quatre ans les Bezannais se sont trouvés complètement mêlés à la guerre. Bien sûr, notre village n’a pas connu tous les drames qu’on put vivre certains villages de l’autre côté de Reims et dans les Ardennes, mais la vie de tous les jours se déroulait dans des conditions très difficiles, avec pour décor les camouflages et les tranchées, pour fond sonore les tirs de batterie, et pour climat psychologique des affreuses histoires germaniques colportées de droite et de gauche, et qui effrayaient tant les gens.
Le 2 août 1914, tous les hommes valides furent mobilisés. Restaient à Bezannes, les vieillards, les femmes, les enfants.
Pierre AUBIN était né à Bezannes en 1910, au-dessus du café de la place. Quant à Marie Louise DELARBRE, elle était le plus souvent dans la maison du café chez ses grands-parents GODOU. Ses parents avaient quitté la ferme de la grande rue pour une maison située rue de l’ancien château. Cette maison, c’était le père Weiss qui l’avait bâti en 1887. Ils voulaient en faire un hôtel avec de nombreuses chambres. Mais le projet ne vit jamais le jour et il fallut murer toutes les fenêtres afin de transformer cette belle bâtisse en dépendances pour la ferme, grenier, cellier... De toute façon, les impôts locaux étant calculés en fonction du nombre de fenêtres, c’était plus raisonnable comme ça !
Les 2 enfants étaient inséparables. Leur petite enfance, est entièrement liée à la guerre. Du plus loin qu’ils se souviennent, ce sont des images de guerre qui reviennent à leur esprit : celle du jour ou, s’aventurant dans un petit sentier, cachés derrière les haies, ils aperçurent les quatre pièces d’artillerie qui se trouvaient là, à deux pas de chez eux, dans le Champ de Monsieur MARLIER. Celle des camouflages de bâches et de roseaux qui suivait toute la ligne du CBR. Celle des tranchées dissimulées sous les branchages, qui longeaient toute la route des " trois arbres " entre Bezannes et Reims.
Et puis des images de soldats. Des soldats, il y en a avait partout à Bezannes. Ils couchaientt dans les granges de fermes. Il y en a avait donc chez les DELARBRE, au café AUBIN. Parfois, ils se réunissaient sur la place, se mettaient en demi-cercle, et jouaient de la musique, pour la plus grande joie des enfants.
Un jour, le petit Pierre AUBIN jouait dans le jardin du café avec son chien, lorsqu’une terrible déflagration eut lieu : c’était un obus qui venait de tomber sur la place, détruisant la boulangerie GOUGELET. On entendait continuellement tonner les canons si proches qui tiraient en direction de Brimont, du fort de la Pompelle. Même pendant les périodes de calme, il suffisait de coller son oreille à terre pour entendre des grondements dans le lointain, Madame MERCERON s’en souvient. Chemin des Têtes de Fer, dans un grand emplacement situé entre des jardins (actuellement potager de Monsieur MALATRAIT) se trouvaient les plus grosses pièces, d’énormes canons prêts à tirer. Plus tard, la jeune Marie Louise verra des soldats allemands tués à l’intérieur du chartil de sa maison. Ces soldats restèrent là très longtemps, personne ne venant les chercher pour les enterrer.
Heureusement, les deux enfants étaient très jeunes et ces images de guerre ne les marqueront pas trop. Comme les autres garçons du village, le jeune Pierre jouait même à la guerre, allait voir les soldats dans leurs cantonnements, les suivait dans les cantines roulantes installées dans les cours de fermes, visitait les galeries souterraines des tranchées.
C’était l’aventure.
Marie Louise n’accompagnait pas les garçons dans leurs pérégrinations. Elle préférait rester jouer à la maison. A` cette époque, pas de jouets sophistiqués, pas de livres distrayants, les jeux des enfants étaient des plus simples. Et pourtant les enfants ne s’ennuyaient jamais. Il est vrai que, dès leur plus jeune âge, ils participaient à la vie active de la maison, aidant les parents selon leurs possibilités. Pour les petites filles, à la campagne, les occupations étaient multiples, depuis les travaux ménagers jusqu’à ceux des champs. Très souvent, et c’est à elle qu’à incomber la tâche de nourrir les bêtes. Marie Louise, quant à elle, était chargée de trancher les betteraves pour le bétail à l’aide d’un broyeur à manivelle.
Et puis, un énorme changement était en train de se produire. Tous les jeunes hommes étant mobilisés, les femmes, qui jusque-là avaient à la ferme un rôle qui leur était propre, durent remplir toutes les tâches. Pour la jeune Marie Louise, le décès de son père accéléra sans doute encore les choses. A présent, elle sera capable de fournir un travail d’adulte. Rien ne lui fera peur, depuis les travaux les plus féminins jusqu’au tâches les plus rudes, les plus ingrates. Elle sera capable de monter et de conduire les chevaux, de se servir de la batteuse, de lier les bottes... A présent, elle sera déjà prête pour ce métier d’agricultrice qu’elle n’a cessé de pratiquer depuis... Mais ne serait-ce pas justement là le secret de son dynamisme et de sa jeunesse d’esprit ?
Si les enfants ne furent pas traumatisés par la guerre, leur scolarité par contre en fut très perturbée. En 1915, l’instituteur Monsieur SAUNIER fut trouvé pendu dans sa classe à la mairie. Il ne fut pas remplacé de toute la guerre. Les enfants ne furent scolarisés à nouveau qu’en 1918, pour quelques mois, en surcharge dans les classes des village où ils avaient évacué.
De même, la communion solennelle fut reportée en 1919. Inquiets, Monsieur et Madame DELARBRE décidèrent d’envoyer leurs deux filles à l’abri chez la cousine Éloi PAQUIN, une ancienne bezannaise qui habitait Lizy sur Ourcq. Marie Louise pourrait aller en classe. Ce voyage revêtait un caractère aventureux. Il fallait prendre le train, changer de ligne, attendre dans des gares au milieu de troupes de soldats permissionnaires. Et pourtant ça n’était pas loin, c’était en Seine-et-Marne, mais la gare de Reims n’était plus utilisable et toutes les lignes venant de Reims étaient coupées. Prendre le CBR, aller à Pargny, changer à Dormans, puis à Meaux, revenir en direction de Reims... Cela n’amusait guère la jeune Andrée DELARBRE à qui l’on avait confié sa petite sœur mais, d’un autre côté, elle était contente de quitter Bezannes. Elle ne supportait plus la guerre, elle ne supportait plus les bombardements. Quand il y en a avait, elle se sauvait à travers champs avec son oncle SACRÉ et se cachait derrière les meules de paille.
Il faut dire que les bombardements elle les avait vus de près. Avant la guerre elle avait fréquenté l’école ménagère de Reims, mais, depuis, elle accompagnait souvent sa mère à la ville pour livrer le lait, et Reims était continuellement bombardé. Il avait fallu arrêter ces voyages à Reims, c’était trop dangereux.
A Reims, la situation s’était aggravée. Petit à petit, les habitants avaient dû quitter leur ville. La gare de Reims étant toujours inutilisable, certains d’entre eux, en grand nombre, venaient à pieds à Bezannes pour monter dans le CBR qui partait de nuit. Bientôt, les lignes de Bezannes à leur tour furent coupés, et c’est jusqu’à Pargny qu’il fallut aller prendre le train.
A Bezannes, dès le début de la guerre de nombreuses familles avaient été douloureusement éprouvées : que de fils, de maris, blessés à la guerre, ou tués, depuis près de 3 ans.
Notre village ne se trouvait pas, fort heureusement dans la trajectoire des bombardements, mais on était entre deux feux, et toujours sur le qui-vive. En trois ans, la vie s’était organisée dans l’inconfort, la tristesse et l’inquiétude. Les bezannais accueillaient du mieux qu’ils pouvaient les soldats français, toujours aussi nombreux.
Dans le grenier de la ferme DELARBRE, certains couchaient dans des châlits superposés. Une cantine roulante se trouvait dans la cour pour les soldats, tandis que les officiers prenaient leur repas dans la cuisine des grands-parents GODOU. Et comme, même au milieu des heures les plus sombres, les plus dramatiques, on trouve toujours des événements heureux qui réjouissent le cœur, et bien voilà : en cette année 1917, alors que la jeune Andrée DELARBRE rentrait tout juste de Lizy sur Ourcq, ou` elle avait conduit sa petite sœur, juste à ce moment-là, un jeune adjudant promu un bel avenir militaire arriva parmi les soldats au repos dans notre village. C’était Monsieur Raymond MERCERON. Leur mariage eut lieu le 27 octobre 1917. A` Bezannes. En pleine guerre. Bien su^r, il n’était pas question de faire une grande fête avec bals et réjouissances, le cœur n’y était pas, mais on fit tout de même un vrai mariage une grande réunion de famille. Dans nos villages, surtout dans les fermes, on n’avait aucun problème pour se nourrir. Pour faire un repas de noces digne de ce nom, il suffisait de tuer le cochon, de plumer quelques volailles, et le tour était joué. Et puis, ne l’oublions pas, la grand-mère GODOU était là, prête à faire des merveilles et c’est elle qui fera le repas de noces, chez elle, dans la maison du café. Pour cette occasion, les hommes avaient obtenu une permission et même Monsieur DELARBRE, qui faisait partie de la réserve arriva de Bretagne ou` il était cantonné à ce moment-là. Les parents du marié avaient du^ demander un laissez-passer pour venir du Poitou. Madame MERCERON mère portait pour l’occasion une charmante coiffe poitevine. Quant à la jeune Andrée, elle avait revêtu une longue robe blanche, tandis que son mari, bien su^r, portait un élégant habit militaire. Dans l’église saint Martin au milieu de toute la famille enfin réunie, ce jour-là, on avait presque oublié la guerre !
Au milieu de tous ses souvenirs mêlés, et si différents, une image en commun pour tous les témoins de ce temps : C’était le 19 septembre 1914. Tous les bezannais s’étaient précipités dehors. Depuis les hauteurs de Bezannes, la vue était très nette sur Reims. Reims était en flammes. La cathédrale brûlait. Ils étaient tous là, il y a avait les sœurs LAPLANCHE, les petits DELARBRE, il y a avait Pierre AUBIN, et puis il y a avait René ALLARD.
René ALLARD qui n’était pas encore parti à la guerre. Si la guerre avait servi de toile de fond à l’enfance et aux jeux de Marie Louise DELARBRE en et de Pierre AUBIN, si, pour Andrée DELARBRE elle avait même revêtu des allures de conte de fées, pour René ALLARD, la guerre, ce fut l’horreur. Il n’a pas oublié. En septembre 1914, les troupes allemandes étaient entrés dans Bezannes. Le commandant et son état-major cherchaient des bâtiments pour loger leurs chevaux. C’est ainsi qu’il réquisitionnèrent les écuries de la ferme ALLARD qui se trouvait alors au fond de l’impasse du battoir. René ALLARD avait dix-neuf ans. Il était mobilisable. Un soir que les Allemands se mirent à le questionner d’un peu trop près sur son âge et sur ses projets, son père prit peur et lui demanda de se cacher jusqu’au départ des allemands. Ce départ eut d’ailleurs lieu très rapidement, en urgence, au beau milieu de la nuit.
En effet, les premières lignes des troupes allemandes battaient en retraite. Leurs chevaux s’étaient enlisés dans les marais de saint Gond. A l’entrée de Bannes, les troupes du général Foch les chargeaient et les repoussaient jusqu’au-delà de Reims vers Witry les Reims, Suippes.
On raconte qu’en passant à Écueil, l’un des soldats allemands de la troupe en déroute se serait mis à saluer les gens et à les appeler par leur nom. Tous reconnurent alors un vacher qui était venu à Écueil peu de temps avant la guerre et en déduisirent qu’il était venu alors en reconnaissance. Et c’est alors qu’à Bezannes aussi on se souvint : à la même époque, juste avant la guerre, le café de la place recevait un important courrier d’Allemagne, destiné à un vacher nouvellement arrivé.
Ce vacher, René ALLARD le revoit très bien. Il avait été embauché par Monsieur GAILLOT qui exploitait alors la ferme de Monsieur MARLIER (ferme MAUPRIVEZ) et ce vacher était allemand. C’était un employé irréprochable, s’occupant de ces bêtes à la perfection, toujours aimable, cherchant la sympathie des enfants et des jeunes. Un jour, René Allard et son camarade HERPET lui rendirent visite dans la petite pièce contiguë à l’écurie qu’il occupait à la ferme GAILLOT. A` leur grande surprise, ils trouvèrent le vacher métamorphosé, soigné, parfumé à l’eau de Cologne, ces habits légers découvrant en carrure athlétique. Et puis, dans sa modeste chambre de vacher, ils aperçurent des livres, des cartes d’état-major... Les jeunes gens en restèrent médusés... A` coup sûr, ça devait être un espion uhlan !
C’est le 17 décembre 1914 que René ALLARD rejoignait le 6e corps d’armée. Il était affecté au 155e d’infanterie, sous les ordres du général PÉTAIN. En Argonne, entre Sainte-Menehould et Verdun ...
Cette fameuse " guerre de 14 " nous l’avons tous plus ou moins entendu raconter autre fois. Maintenant, les enfants, les jeunes, peuvent-ils s’imaginer ce que fut cette guerre et dans quelles conditions les jeunes soldats se battaient. Chaque fois que les Français et les Allemands gagnaient du terrain, ils devaient creuser des tranchées.
Il y en a eu de la terre de remuée à cette époque ! Les tranchées se faisaient vis-à-vis, simplement protégées par des fils de fer barbelés et nuit et jour il fallait guetter les Allemands qui se trouvaient au loin dans la tranchée d’en face.
Pendant quinze jours d’affilée, les soldats restaient dans les tranchées, nuit et jour, dans la boue, parfois même dans l’eau. Les attaques étaient nombreuses, continuellement on évacuait les blessés. En face, les Allemands n’étaient pas mieux lotis mais, au moins, ils avaient des casques pour se protéger.
Les Français, n’avait qu’un simple képi ! Que de blessés à la tête ! Des éclats d’obus et d’œils crevés ! Tous les quinze jours, c’était la relève. On allait alors au repos. Mais au repos où ? Et bien tout simplement dans des villages de l’Argonne, vidés de leurs habitants, dans des villages bombardés, dans des villages morts, sans aucune distraction, aucun réconfort.
Et puis, le 30 juin 1915, après six mois de cette vie horrible, il y eut une attaque allemande encore plus forte que les autres. Ce jour-là, ce fut une hécatombe ! Autour de René ALLARD, des tués, des blessés en grand nombre. Lui, il avait reçu un éclat d’obus dans la tête. Il fut amené en ambulance à Sainte-Menehould. C’est là qu’il fut trépané. Par chance, un train pour Paris se trouvait en gare. Il fut donc immédiatement transféré à la Salpetrière. Il y restera une année. Au début, ce fut difficile. Le cerveau était touché. Il ne pouvait plus parler. Un de ses bras ne fonctionnait plus. Petit à petit, il retrouva l’usage de la parole. Lorsqu’il fut guéri, il ne fut pas question de le rapatrier tout de suite à Bezannes.
A Bezannes, c’était encore la guerre ! Il partit donc en convalescence pour trois mois à Picpus, chez des bonnes sœurs. C’est là qu’il réapprit à vivre. Ce n’est qu’à la fin de 1916 qu’il regagna Bezannes.
Comment pouvait-on oublier la guerre à Bezannes ? Au milieu des militaires, des grondements de canons, des tranchées. Des tranchées, il en avait tout autour de Bezannes. Et puis il y a avait aussi la carcanerie ...
Quand vous preniez le chemin d’Ormes, jusqu’au bout, et que vous reveniez un peu sur la route qui mène à Tinqueux, vous trouviez la carcanerie. Quelques baraques des fosses profondes, c’est là que, avant la guerre (et après)ont menait les bêtes mortes pour en faire de l’engrais. Dans ses trous profonds, pendant la guerre, 30, 40 hommes pouvaient se mettre à l’abri. Pour le jeune René ALLARD, la convalescence dura des mois et des mois.
Et puis, ce fut le printemps 1918. La petite Marie Louise était ravie. Elle allait faire sa première communion. La grand-mère GODOU sortit de la grosse armoire la robe de communion qui avait servi à Andrée, la grande sœur, quelques années plus tôt, elle la porta chez les cousines PONS qui étaient établies comme repasseuses rue de Baconnes.
Cette robe de communion, avec ses baigneuses, ces entre-deux, ces bouillonnés, nécessitait en effet les soins de repasseuses expertes. Les cousines PONS reposèrent leurs lourds fers de fonte sur le fourneau, admirèrent la jolie robe, l’humectèrent, la roulèrent en boule avec les robes des autres petites communiantes bezannaises ... Ces robes, elles allaient les garder une année entière.
Mai 1918. Nouvelle offensive allemande. Dernière offensive allemande. Cette fois, il fallut évacuer. Les bezannais laissèrent leurs animaux, leurs machines, emmenant seulement quelques chevaux. Bon nombre d’entre eux allèrent en direction de Avize, par petites étapes car il ne fallait pas fatiguer les chevaux. Autour les bombardements étaient de plus en plus fréquents.
Le grand-père GODOU n’avait pas voulu partir. Il resta barricadé dans sa maison qu’il craignait d’abandonner. Un soir, deux uhlans armés jusqu’aux dents enfoncèrent les barricades et pénétrèrent dans sa maison. Monsieur GODOU eut si peur qu’il se hâta de rejoindre sa famille, à pieds, avec un simple balluchon.
A son arrivée à Avize, un horrible spectacle l’attendait. Deux trains de munitions venaient de se télescoper et le quartier de la gare se trouvait complètement éventré.
Jeanne AUBIN, elle aussi s’en alla. Elle ne ferma pas le café : peut-être des gens pourraient il y coucher ? Des gens, il en passa en effet : des soldats français, des soldats allemands, des réfugiés venant des Ardennes !
Quand les bezannais rentrèrent en novembre, il n’y avait plus un meuble, plus une table dans le café, mais de la paille partout. Il n’y avait plus un seul animal dans les fermes. Les cultivateurs se partagèrent quelques vaches retrouvées çà et là pour démarrer.
Madame DAMIDAUX se souvient de son retour à Bezannes. Après Avize, la famille s’était rendue dans l’Aube. Il avait fallu laisser les chevaux, et même le petit poulain qui avait reçu un éclat d’obus et qu’on avait tant soigné.
C’est en train que la famille avait regagné Reims. Mais le train s’arrêtait avant le pont de la route de Paris. Il ne pouvait pas aller plus loin. Il avait fallu escalader le talus pour gagner la rue François DOR et rentrer à Bezannes à pied.
C’était la désolation. Cette fois le village était bien touché. De nombreuses maisons avaient été sinistrées.
A Ormes, c’était pire encore, tout avait été détruit. Et puis vous savez, cette très vieille dame qui habitait la petite maison en face de l’église, Madame Pothier. Comme elle était pratiquement impotente, elle passait ses journées derrière la fenêtre. Elle avait un petit bonnet sur la tête comme en portaient alors toutes les dames âgées, elle regardait dans la rue le va-et-vient des passants. Les enfants la connaissaient bien. Quand ils passaient, elle donnait de petits coups aux carreaux pour attirer leur attention et leur sourire. Madame POTHIER n’avait pas pu partir, évidemment. On l’a retrouvée morte. Comme on a également retrouvé les deux dames âgées qui habitaient l’ancien presbytère à côté. Elles ont sans doute été asphyxiées par les gaz. .
Cette guerre, dès 1938, on la pressentait.
D’ailleurs, déjà à cette époque, on avait formé un corps mobilisateur. Et puis il y avait eu la "Conférence de Munich" qui avait calmé les esprits et, vraiment, on avait cru à la paix. Mais rapidement le comportement des troupes allemandes, avait de nouveau inquiété l’Europe et, le 3 septembre 1939, l’Angleterre et la France déclaraient la guerre à l’Allemagne qui venait d’envahir la Pologne.
Ce fut alors la "drôle de guerre". De septembre 1939 à mai 1940, plusieurs millions d’hommes mobilisés demeurèrent dans l’attente d’une attaque. Derrière les fortifications des lignes "Siegfried" et "Maginot", entre les escarmouches, on s’observait sans agir.
Et puis, soudain, après huit mois d’attente, les choses se sont précipitées. Le 10 mai1 1940, les Allemands engageaient l’offensive par l’invasion des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg. Le 13 mai, ils franchissaient le Meuse de part et d’autre de Sedan, pour gagner tout le nord...
Un vent de panique souffle alors sur Bezannes. Depuis la ferme KAUFFMANN, en bordure du village, on devinait la présence de soldats dans le petit bois Lambert. Et puis, chemin des Têtes de Fer, ce fut la grange de Monsieur LALUCQ qui brûla complètement avec toutes ses récoltes. Un incendie inexplicable et, comme tout ce qui était inexplicable, on ne pensa pas que ça pouvait être l’œuvre de la " 5e colonne " dont les espions étaient partout. La guerre de 1914 était proche. Les souvenirs étaient encore très présents et, de nouveau, un climat de peur s’installa.
Immédiatement, une grande partie de la population évacua. On monta en hâte dans les quelques rares automobiles qu’il y avait alors au village, et surtout dans les charrettes à chevaux dans lesquelles on avait installé l’essentiel de ses biens. Seuls, quelques cultivateurs restèrent. Le travail de la terre ne pouvait attendre, il y avait les foins à faire, les betteraves à biner et puis, surtout, il y avait les bêtes. Le 9 juin toutefois, il fallut partir. L’ordre d’évacuation était donné, les troupes allemandes étaient aux portes de Paris qui tombera le 14. C’était la débâcle. Alors, dans les fermes bezannaises, on ouvrit grandes les portes des étables, et on lâcha les bêtes dans la nature... Partis les derniers, ces agriculteurs ne purent aller bien loin et dix jours après, ils étaient de retour ...
Les Allemands occupaient le village, cette fois encore, on s’était battu dans Bezannes. De nombreux soldats français furent retrouvés morts, dans les jardins, les cours de ferme, tandis que les morts allemands avaient été regroupés devant le monument aux morts. Le mur du cimetière était percé de trous et un canon antichar se trouvait à l’intérieur. Dans le réservoir à eau, couvert d’impacts de balles, des soldats avaient été également abattu, ainsi que dans le champ voisin où Monsieur HERPET en trouva derrière ces meules de foin. Tout autour de Bezannes, on faisait de macabres découvertes. Madame Habert se souvient du jour o ?, travaillant dans un champ avec Madame Reksa, elles virent dans le chemin d’Ormes alors chemin creux bordé de talus, un soldat allemand et un soldat français à demi enterrés. Parfois, comme dans une tranchée à l’entrée du village, l’Allemand et le Français se trouvaient embrocher par le même baïonnette. Parfois, pour ajouter à l’émotion, on retrouvait des lettres, des photos, dans les mains de ces morts. Plus tard, en faisant la moisson, on en trouvait encore. Monsieur PRÉVOT revoit les chevaux que conduisait son père se cabrer soudain, refusant d’avancer. Deux corps se trouvaient encore là. Il y en a avait également dans le " trou à renards " grande fosse, du genre carrière, creusée de terriers, qui longeait le chemin d’Ormes. Quant aux chevaux morts, n’en parlons pas, c’était un véritable charnier et les hommes du village furent réquisitionnés pour s’occuper des morts et pour découper et enterrer les chevaux. Quelle horreur ! Quand on sait que cet été 1940 fut un été particulièrement torride, on s’imagine assez le spectacle, les odeurs, et l’on comprend que Monsieur Lucien Vernier, qui participa à l’opération, en soit bouleversé et en devint incapable de manger pendant une semaine.
Mais la découverte la plus impressionnante fut sans doute faite au bois Lambert, le grand, celui des Hautes Feuilles. Les soldats qui se trouvaient là étaient complètement carbonisés et leurs véhicules incendiés. Le bataillon avait d ? bien se défendre et c’est sans doute par bombe que l’aviation allemands l’avait exterminé. Ces soldats morts à Bezannes faisaient partie du 4e régiment de tirailleurs marocains. On en dénombra 28. Du 22 au 24 juin, ils furent enterrés sur place d’une façon plus décente par Monsieur HERPET et les premiers bezannais rentrés, qui marquèrent l’emplacement d’une croix. En octobre, ils furent transférés provisoirement au cimetière où une émouvante cérémonie eut lieu. Monsieur Henri commandés par Albert HERPET. Quant aux enfants du village, ils furent chargés d’aller fleurir les tombes, chaque enfant ayant " son soldat ". Pendant des années, la femme d’un jeune lieutenant qui, après bien des recherches, avait fini par identifier et rapatrier le corps de son mari, fit dire des messes à l’église Saint Martin : " pour le lieutenant GAUGERET ses hommes ".
Les bezannais évacués au loin, le, eurent beaucoup de mal à rentrer et ce n’est qu’à la fin de l’été que, bien souvent, ils purent regagner le village. Un curieux spectacle les attendait : leurs meubles, leurs bibelots, avaient été véhiculés dans d’autres maisons. Leurs animaux étaient dispersés ou avaient disparu. Par contre, dans leurs écuries, ils abritaient des vaches inconnues que les premiers arrivés, rencontrant des troupeaux à la dérive, avaient rentré un peu au hasard.
Seuls, la famille Vernier eut une heureuse surprise. Contrairement aux autres troupeaux, le leur était habitué à sortir de l’étable pour se rendre dans un de leurs autres fermes, celle de la rue des Pressoirs, et c’est tout naturellement là que les vaches étaient aller se réfugier. Dans les fermes bezannaises, alors, on se posa des questions. On se demanda si, après tout, il n’aurait pas mieux valu rester. Madame LABASSÉ et sa famille, n’était pas parties. Le père Jean le botteleur non plus, le seul cultivateur qui avait l’autorisation de rouler, c’était Monsieur Henri GAILLOT. Une vraie raison, il en avait une évidemment, puisqu’en plus de sa ferme bezannaise il devait exploiter sa propriété des " Cormelles " qui se trouvait dans la région de Beine, mais, comme seuls les véhicules utilitaires pouvaient rouler, il fut obligé de transformer sa voiture particulière, de lui couper le spider et de lui ajouter un plateau bâché.
Monsieur Jean Fondeur, lui, obtint une autorisation un peu particulière est très limitée. Sa voiture, il eut le droit de la conduire, mais seulement jusqu’en octobre, jusqu’à la naissance de son fils.
Ce manque de véhicule gêna énormément les bezannais. La voiture de Madame Pierre Aubin avait été réquisitionnée au tout début de la guerre et c’est dans l’Est que Monsieur Aubin, sous les drapeaux, la rencontra un jour conduite par des militaires français ... Triste rencontre ! Pour Madame Aubin, comme ce fut difficile ! Il fallait aller chercher la viande à Reims, viande qui était distribuée deux fois par semaine en fonction du nombre de clients, et qu’elle devait également revendre deux fois par semaine, à jours fixes, à raison de 360 grammes par personne. Comme ce fut difficile de ne pas se laisser donner les plus mauvais morceaux, pendant que d’autres, profitant de la situation, se servaient bien s’enrichissaient (et oui, c’est ça aussi la guerre). Heureusement Monsieur HENRY, ancien boucher, venait l’aider à débiter la viande. Comme ce fut difficile pour Madame LAGAUCHE qui dut redémarrer l’atelier de réparations agricoles avec deux ouvriers, les autres étant prisonniers.
Du courage, il en fallut aussi Monsieur Armand KLEIN, qui venait de reprendre la tournée de la laiterie LAMARLE, 28 rue des Pressoirs. Sans voiture pour aller chercher le lait dans les fermes ou aux Mesneux et pour le conduire à Reims, ça n’était pas drôle. Alors il se fabriqua une remorque avec des roues de bicyclette, arriva par grande chance à acheter un vélo " par relations ", tailla de longues lanières dans un pneu de voiture pour garnir les roues du vélo, et voilà, il fut prêt à faire ses tournées. Au début, il dut même se déplacer à pied. Un jour que la neige et le verglas empêchaient toute circulation et que les Allemands avaient réquisitionné les hommes du village pour retirer la neige, il lui fut impossible de monter la côte des Mesneux avec sa remorque. Il en fut réduit à porter les bidons sur son dos à l’aide de deux courroies ...
Que de souvenirs pénibles de cette époque, comme celui o ? il avait quitté Bezannes à 6 heures du matin pour faire sa tournée à pied et y était revenu à la nuit noire, se guidant au hasard, sans aucun repère dans des champs blancs de neige, avec la crainte de rencontrer des patrouilles allemandes qui faisaient des rondes. Après des heures d’errance, seule une petite lumière au loin, provenant de la kommandantur, lui avait permis de regagner le village.
De toute façon, l’hiver, c’était horrible. Les problèmes étaient multiples, les doigts étaient gelés, le visage était mort de froid et le lait, pris en glaçons, tombait dans le lait du client, le faisant déborder. Après la guerre, bien sûr, Monsieur Klein avait ressorti sa camionnette C4 à plateau et les choses avaient été bien simplifiées. Heureusement car la tournée était importante et Madame KLEIN devait faire jusqu’à 1800 fromages blancs par jour.
Et puis, pendant la guerre, on transportait et on vendait encore le lait cru. Tandis que dès 1948/1949, il fallut aller le faire pasteuriser. Dans les débuts, ce n’était pas très perfectionné. Il fallait aller porter rue Ponsardin le lait qui était déversé dans de grandes citernes, chauffait à 70° puis refroidit brusquement. Et il fallait attendre qu’on vous redonne du lait pasteurisé que vous iriez livrer à la clientèle en porte à porte. Parfois, le lait tournait au cours de l’opération. On vous le remplaçait bien une fois ou deux mais après, bine souvent, le laitier en était de sa poche. Plus tard, heureusement, rue de Courlancy, tout s’était modernisé.
Pendant ce temps, à Bezannes, on continuait à s’approvisionner chez Madame KAUFFMANN, chemin des Têtes de Fer. Donc les voitures étaient rares, l’essence contingentée, le fer ne s’achetait qu’avec des tickets et, dans ces conditions, les choses n’étaient pas simples non plus pour les Ateliers DERVIN ; et c’est à bicyclette que Monsieur Henri DERVIN allait réparer les machines dans les champs ... Parfois jusqu’à Sacy. Mais, bientôt, un débouché imprévu se présenta : le ferrage des jougs de bœufs. Et oui, on avait recours aux bœufs dans de nombreuses fermes bezannaises.
Il faut dire que dès 1939, les voitures avaient été réquisitionnées par les militaires français. Parfois, pour ne pas qu’elles partent, on leur avait retiré les roues, on les avait enfoui dans les granges. Et puis, à la même époque, dès la mobilisation les chevaux avaient aussi été réquisitionnés par l’armée française. Dans toutes les fermes, on avait pris les plus beaux. Les bezannais se souviennent du jour où, Monsieur Albert PRÉVÔT, chartier à la ferme GAILLOT, revint de Reims en larmes. On lui avaient réquisitionné son attelage entier. C’étaient des bêtes superbes et il y était très attaché. Chaque chartier avait en effet la charge complète de ses chevaux : entretien, nourriture, et soins en cas de maladie ou blessures. Monsieur GAILLOT avait bien racheté quelques poulains, mais, à leur tour, les allemands avaient réquisitionné les meilleurs, ne lui laissant que les vieux chevaux, et le poulain malade, celui qui avait " l’os aux jambes " (genre d’eczéma purulent).
A plusieurs reprises, les allemands avaient fait l’inventaire des chevaux. &laqno;a se passait sur la place. Sur le pas des portes, les gens en avaient les larmes aux yeux, même ceux qui n’avaient pas de bêtes eux-mêmes.
C’est qu’en plus du problème pratique, il y avait un gros problème affectif.
Ses chevaux, on les connaissait, ils avaient tous un nom. Il fallait alors conduire les bêtes choisies à Reims ou même, une fois, Châlons-sur-Marne. Cette fois-là, il y eut concertation au village : qui devra accompagner les bêtes à Châlons ? Alors de l’avis général, et avec son consentement, on envoya un palefrenier ?gé et contrefait. Au moins, on était sûr qu’il nous reviendrait. Des tracteurs, il y en avait à Bezannes.
A la ferme Gaillot, pour remplacer l’essence, on avait tout essayé : on avait d’abord utilisé l’alcool avec un système de compte-gouttes qui déversait de l’huile de temps en temps, puis on était passé au pétrole et, on avait du équipé les tracteurs de moteurs à hydrogène, puis au charbon de bois, puis au bois. Dans toutes les grosses fermes on devait abriter des chevaux allemands, le record étant peut être battu par la ferme Fondeur o ? il y en avait 27. Pour nourrir ces chevaux, un système officiel avait été organisé pour la fourniture de paille, de foin et d’avoine, en fonction de l’importance de la ferme, marchandises qu’il fallait porter à Reims et qui étaient redistribuées après. Mais on était habitué à d’autres réquisitions, réservées celles là à la nourriture des troupes, ce qui n’excluait pas quelques réquisitions tout de même un peu plus étonnantes.
A la ferme MATHIEU, rue de Baconnes, les écuries étaient évidemment remplies de chevaux allemands et des soldats allemands logés dans les chambres du premier étage, lorsqu’un beau jour Madame MATHIEU reçut un ordre de réquisition un peu particulier, celui de son poste de TSF. Et c’est son fils Raymond qui fut chargé d’aller conduire illico le poste au château Fromentin. Entre nous, à Bezannes on n’était pas trop à plaindre. Bien s ?r tout était réglementé ; de tout temps dans les fermes on avait tué le cochon pour se nourrir, maintenant évidemment c’était contingenté, vous aviez droit à un ou deux cochons par an, en fonction du nombre de personnes à charge.
Et puis Monsieur DIEDERICH se souvient que les hommes avaient le droit d’abattre des arbres dans les bois communaux pour se chauffer. Seulement la vie de tous les jours restait difficile et Mesdemoiselles VERNIER en revoient bien toutes les contraintes. D’abord, les hommes du village devaient se faire pointer à la kommandantur, et cela se passait à 6 heures du matin. Et puis, durant les périodes de moisson, lorsqu’on louait des machines agricoles pour plusieurs jours, il était plus prudent de se relayer la nuit pour les garder, car on craignait les sabotages, tout comme on craignait les enlèvements de bétail.
Mais revenons-en à la guerre. Par rapport aux citadins, il faut le reconnaître, on était plutôt privilégié. Et puis, après tout, cette époque n’avait pas que de mauvais côtés. Madame DUCOISY (Simone HERPET) à la mémoire infaillible ... revoit tout comme si c’était hier ! C’était la grande période du troc et on était bien obligé de l’utiliser. Une douzaine d’œufs, petits morceaux de lard, vous ouvrez bien des portes. On échangeait ce qu’on avait contre du tissu, de la laine. Et puis il y avait le tabac, ça aussi ça permettait bon nombre d’échanges. C’était le système D. On devenait débrouillards, on devenait ingénieux ... Les moulins qui servaient à la nourriture du bétail avaient été plombés, mais on arrivait tout de même à s’en servir. Dans les greniers, en cachette, on moulait du blé pour faire de la farine. On avait plusieurs tamis, de grosseurs différentes. Avec le premier on faisait de la farine grisâtre pour le pain, mais, avec un tamis plus fin, vous pouviez avoir de la farine blanche ; en ajoutant un œuf, ça devenait le gâteau du dimanche. On échangeait ses recettes de gâteaux faits avec la peau de lait et de pâté restriction, au " vrai goût de foie ", spécialité de Madame HERPET. En cette époque sans cellulite et sans cholestérol, on grillait de l’orge pour en faire du malt à la place du café, la saccharine remplaçait le sucre, et, comme les pommes de terre étaient réquisitionnées, on réhabilitait des légumes oubliés, le rutabaga et le topinambour. Dès qu’on avait un petit coin, on faisait un élevage.
Madame Lambert était même arrivée à élever des poules, des lapins, des canards, dans la cour de la mairie école, cette si petite cour où une trentaine d’enfants jouaient ! Le savon ? Il avait fallu le réinventer, avec de la soude caustique et des saponaires.
Et puis on se passait des patrons pour fabriquer des pantoufles en lainages et des chaussures sur semelle de bois (il y eut même à " l’union " le concours du plus beau chausson). On félicitait la jeune Simone HERPET pour les chaussons qu’elle avait fait à son petit cousin André SACRÉ, on admirait Madame HENRY qui habitait rue des Pressoirs et qui avait battu tous les records d’ingéniosité en confectionnant une robe avec trente-trois morceaux de tissu.
Et on tricotait. A la radio, le père TAVERNIER avait lancé un appel et, dans tous les foyers, on tricotait des petits carrés de laine de 10 x 10 au point mousse avec des restes de laine. Ces petits carrés, assemblés en couverture, étaient envoyés aux soldats sur le front. On devenait généreux, accueillant ... A Bezannes on reçu beaucoup de visites à cette époque ! Des parents perdus de vue, des cousins à la mode de Bretagne, des amis anciens de jeunesse, et puis les amis des amis. Tous se souvenaient de vous et vous rendaient visite le dimanche on n’était pas dupe, on savait bien qu’après la guerre tout serait de nouveau comme avant la guerre, mais en compatissait, et les visiteurs repartaient avec des œufs, du lait, des volailles. Et puis on prêtait des bouts de terrain, le dimanche, tout le monde jardiner. C’était le retour à la terre.
On accueillait des pêcheurs du Nord, du Portel, dont les maisons avaient été sinistrées et qui travaillaient dans les fermes. On recevait des enfants des villes à la recherche de nourriture et de grand air. On essayait de s’entraider, enfin, quelquefois. Déjà, en 1939, lorsque Monsieur VERNIER avait été mobilisé, certains cultivateurs avaient aidé Madame VERDIER à terminer sa moisson. On était devenus prudents ... Dans les jardins, on avait fabriqué des abris, des abris de fortune. On avait creusé la terre, recouvert de tôles, puis de terre, de sacs de sable. Chacun donnait des conseils, faisait des essais mais, entre nous, on n’avait pas trop confiance ! On était devenu courageux ... On s’était habitué au couvre-feu, aux bombardements. Déjà, le 12 mai 1940, lorsque la petite Evelyne TAVERNIER avait fait sa première communion, la messe avait été coupée par une alerte. Le lendemain pourtant, il avait fallu aller à Reims, à l’église sainte Geneviève pour la confirmation. Le petit groupe de communiants bezannais était parti tôt, déjà habillé, fin prêt. Mais, en cours de route il y avait eu une longue alerte et on avait d ? descendre dans un abri, si bien que la cérémonie avait pris des allures étonnantes : seules les bezannais étaient en tenue. Les rémois, étaient arrivés en " costume de ville ", venant directement de leur cave. Dans les caves bezannaises, en secret, on écoutait les messages.
A part la blanchisserie LABASSÉ, rue de Baconnes (actuellement en blanchisserie Elis) qui avait une certaine envergure, les artisans de cette époque, disséminés à travers le village, travaillaient seul ou avec quelques compagnons. Ils contribuaient fortement à l’animation, à la vie du village, vie exclusivement agricole.
Avant la guerre de 1914, l’atelier de charronnage HÉRISSON fabriquait tombereaux, charrettes à foin (parfois même carrosse et tilbury) mais aussi, fenêtres et cercueils. Toutefois, son travail le plus courant était celui des roues de bois et des équipages agricoles comprenant le débit de pièces de frênes qui nécessitaient un vrai travail de force pour assembler les châssis. Bien souvent, les pièces étaient conduites à la maréchalerie LAGAUCHE qui assemblait les ferrures, essieux, mécaniques. Robert LAGAUCHE revoit les maréchaux effectuer ce travail difficile qu’était le ferrage des roues de bois : les bandages de fer de 1,5 cm d’épaisseur sur 12 cm de large étaient entourés de copeaux et de bois. On y mettait le feu, la température devant être très élevée. On sortait alors un par un, à l’aide de griffes, les cercles de fer que l’on devait poser sur la jante et ajuster avec précision. Tandis que le maréchal frappait avec des marteaux le métal en fusion, un autre actionnait les soufflets et tisonniers, tandis que le commis, faisant de continuelles allées et venues avec des arrosoirs, aspergeait d’eau le cercle qui ferait corps avec la roue par retrait. Plus tard, les nombreuses activités de cette maréchalerie seront partagées :
Monsieur FORTIN reprendrait le ferrage des chevaux dans sa forge 22 rue de Baconnes,
Monsieur Pierre DERVIN installerai un atelier de mécanique agricole 6 rue de la Gazette,
Monsieur RIGAULT le plombier zingueur s’installerait en face au numéro 7, et réparerait chêneaux et gouttières. Deux fois par an. Triste période pour Bezannes que ces années d’après guerre qui marqueront la fin des petits métiers ruraux, des gens de maison et de l’artisan.
Pendant une dizaine d’années, ici, tout sera mort.
Et puis viendront les années 60. Partout s’amorcera une grande vague d’émigration des citadins vers les campagnes.
On verra alors s’installer à Bezannes quelques artisans qui lui redonneront vie, des artisans d’un autre type : électriciens, maçons, peintres, gens du meuble, dont le terrain d’action dépassera largement les frontières de Bezannes.
La création d’une zone artisanale allait encore modifier les choses en amenant au village des entreprises extrêmement variées, tant par leur spécialité que par leur importance, qui porteront à 25 le nombre des artisans bezannais. S’ils travaillent toujours pour les Bezannais, s’ils participent en priorité à la rénovation des bâtiments communaux, ces artisans font connaître le nom de notre village dans tout le département, dans toute la France, parfois même dans le monde entier.
En 1984/1985, alors que le "Bâtiment Menuisier" fabriquait et livrait clefs en mains une bijouterie en loupe d’orme à un émir du Qatar, les "Métalliers Champenois" enlevaient un marché fabuleux : la restauration de la statue de la Liberté à New York. En 1986, les deux entreprises travailleront pour le Musée de la Liberté à New York.
Dans les années 1960 fut programmé l’implantation de la ZUP Croix-Rouge et dès 1965 et les années qui suivirent, Bezannes assistera, en voisin, à toute une série de modifications. Ce sera le quartier de Maison-Blanche, face à l’hôpital, qui sera exproprié, quartier dont il ne restera bientôt plus que la "Chaise au plafond" et la "Chaumière" célèbre restaurant de Monsieur BOYER. Puis ce sera la rue de Bezannes que l’on empruntait pour venir de Reims, et qui ne mènera plus à Bezannes mais à des immeubles, à des tours. Puis ce sera les tour de la maison de la rafale, ancienne porcherie devenu maison d’habitation, isolée sur son piton venté, qui disparaîtra au profit de la Faculté de lettres et de son parking. Et enfin la Rue des Mesneux suivie de la rue des Mesneux prolongée, simple chemin de terre, deviendra Route principale en prenant le nom de François DOR et de rue François MAURIAC. Dans ce paysage changeant, face à un énorme monticule de terre, extrait des fondations de tout ce quartier, monticule qui faillit devenir piste de moto-cross, seuls trois gros tilleuls sont restés, immuables. Ce sont les "trois gros tilleuls" repère topographique.
C’est avec pour toile de fond, ce nouveau paysage de la ZUP Croix Rouge, créant des images étonnantes, contrastantes, guetté de tous côtés par des édifices aux allures étranges, que notre petit village démarrera une nouvelle vie. Bezannes ne refusera pas de progrès et même, il le créera, mais en essayant de le maîtriser, de l’adapter. On accueillera une population extérieure importante, mais par vagues successives afin de faciliter son intégration. On verra sortir de terre avec plaisir, avec étonnement, des constructions à l’architecture moderne, parfois même expérimentale, mais on les souhaitera plutôt dans les nouveaux quartiers, tenant à ce que le centre du village garde son unité et conserve ce qui fait son caractère : ses vieux murs et ses maisons discrètement restaurées. Si dans les années 60 on n’avait pas hésité un seul instant à détruire entièrement le magnifique verger GOUSSIER pour implanter une zone pavillonnaire (alors qu’une petite placette ombragée, une étroite ligne d’arbres, n’aurai pas manqué de charme dans ce nouveau quartier), par la suite, bien vite, on avait donné la priorité à l’environnement. Les nouvelles maisons, les grands ensembles, la zone artisanale, l’école, indispensables au développement d’un village, on les bâtirait " dans un jardin " on les entourerait d’espaces, d’arbres, de terrains de sport, de tennis. On encouragerait les habitants du village à engazonner leur trottoir, à fleurir leur façade. Dès l’entrée du pays, le ton serait donné : plutôt que de simples et rébarbatifs panneaux de ralentissement, on irait même jusqu’à poser des pancartes dessinées par les enfants de l’école et réalisé par Michelle MARCERON, nouvelle bezannaise. Quant aux nouveaux arrivants, il allait falloir qu’ils se sentent bezannais à part entière et, pour cela, on allait devoir leur offrir des distractions, leur proposer des services, au village même. Complètement endormi depuis la dernière guerre, Bezannes, petit village accueillant, allait se réveiller, prêt à vivre une nouvelle aventure, une aventure passionnante certes, mais qui allait tout bouleverser dans ses habitudes : la création de nouveaux quartiers, l’arrivée de personnalités nouvelles, différentes, le retour des artisans, l’installation du centre éducatif scolaire, et puis le démarrage d’une vie associative tellement riche, tellement variée, tellement stimulante ! Bezannes allait revivre. Comme autrefois. Mais d’une façon ô combien différente ... S’il il y a toujours eu à Bezannes un léger mouvement de populations, mouvement chiffrable et compensé, on peut dire que, dès les années 1960, les choses se mettront à bouger. Les premières constructions seront celles de : 1958 sur Monsieur et Madame ROBITAILLIE, chemin des Têtes de Fer, 1960 Messieurs ROSSIGNON et CHALOINE, rue de Baconnes dans la propriété Auer partagé en 3, 1962 Monsieur et Madame Jean PRÉVOT, rue de Reims, en plein champs, 1962 - 1968 quelques arrivées par vagues, du à la construction de nouveaux quartiers, rue Victor LAMBERT (alors route de Reims) rue de saint Rémi (alors route de Maison Blanche) rue Charles de GAULLE (alors rue du Pont) ainsi que de l’impasse du château par le foyer rémois.
Et puis, une fois de plus, tournons-nous vers la place du village. Elle est méconnaissable la place des années 20.
D’abord, la boulangerie a changé d’emplacement. Son mari ayant été tué à la guerre et sa maison étant détruite, Madame GOUGELET, courageusement, s’est installée dans l’ancienne maison du maréchal ferrant. La pièce de façade fut transformée en magasin de vente, tandis que, au fond de la cour, le fournil a remplacé la forge. Rapidement, elle céda le fonds à Monsieur Nicaise. Souvent, le jeune Pierre Aubin traversera la place et ira aider, pour le plaisir, le nouveau boulanger à faire les croissants.
Disparus également, la petite maison de Madame POTHIER et le grand hangar voisin. à leur place, à côté la mare appelée maintenant " abreuvoir " Bezannes à ériger un monument aux morts à ses enfants disparus. Une grande cérémonie eut lieu en 1923 pour son inauguration. Mais, sans aucun doute, ce qui accentue encore davantage le changement, ce sont les arbres : les grands ormes abattus et remplacés par de jeunes et frêles tilleuls.
Aussitôt, le café de la place a repris du service. Plus que jamais les gens ont besoin de se distraire.
Madame Merceron et Madame DAMIDAUX, mariées, ont quitté Bezannes... pour quelques années. Madame Sacré, mariée elle aussi, viendra parfois danser sur la place pour la fête communale.
Quant aux jeunes gens, René Allard ? Il est de toutes les fêtes, Robert LAGAUCHE aussi, Pierre Aubin, beaucoup plus jeune, les suivra partout : il y aura les fêtes de village, les bals à Sacy chez Doré-Noël, les sorties à Reims, et puis, maintenant, il y a du nouveau au café de la place, Monsieur AUBIN a acheté un gramophone à pavillon et les jeunes bezannais peuvent venir au bal le dimanche après-midi. à la belle saison on danse dans le jardin et, sous la tonnelle, à nouveau, les rires retentissent. à ces bals du dimanche, bientôt, René ALLARD et Robert LAGAUCHE amèneront leurs jeunes épouses. Avez-vous déjà vu des cartes postales ou des documents de ce temps ? Grandes tablées joyeuses, bals champêtres, banquets officiels, immenses réunions pleines de gaieté : on fêtait tout à cette époque, la Sainte Barbe, la sainte Catherine, la saint Fiacre ! Tout était prétexte à réunion et à fête ; tout était aussi prétexte à carte postale... Fleuries, rebrodées, décorées, romantiques à souhait, petites merveilles de finesse et d’imagination, tout était dit avec des cartes et il y en avait absolument pour toutes les occasions !
Que dire de ces années, sinon qu’elles furent heureuses et sans histoire. Epoque bénie aussi à Bezannes avec ses parties de pêche et ses fêtes qui avaient repris de plus belle. Après la guerre les clients rémois étaient revenus aussi nombreux au café AUBIN, toujours attirés par le côté champêtre de l’établissement. Monsieur AUBIN tuait le cochon une fois par semaine et vendait sa charcuterie. Comme il était chasseur, il avait ramené un sanglier qu’il élevait dans la grange. Le sanglier, apprivoisé, s’aventurait très souvent dans le café. Les clients le connaissaient bien, et lui avaient donné un nom " Noisette" et s’amusaient à le nourrir de sucre. On se baignait toujours dans la Muire, au fond de son jardin, Monsieur AUBIN, comme beaucoup de riverains, faisait pousser du cresson.
Après tant de souffrances passées, c’était maintenant l’insouciance. Et pourtant les problèmes ne manquaient pas. Cette guerre avait coûté très cher à la France, et puis, maintenant, il fallait reconstruire.
Des emprunts furent donc émis... Et les Bezannais, comme tous les Français, reçurent une circulaire quelque peu racoleuse ...
Comme les tilleuls ont grandi ! Mais l’engouement des rémois pour Bezannes n’était pas seulement lié à la mode. Il n’était pas seulement d ? à sa proximité de la ville. Sans aucun doute, Bezannes était un village particulièrement attirant pour des citadins épris de nature. D’un bout à l’autre, de parc en parc, de propriété en propriété, bordant la Muire, ceinturant le village, il y avait des arbres partout. Si l’on rencontrait une majorité d’ormes et de peupliers dans la périphérie, au centre du village, il y avait surtout des tilleuls...et puis de la vigne : de nombreuses fermes, en effet, étaient garnies d’une vigne, et même la mairie école était recouverte de sa vigne, sur la façade côté jardin.
Sur la place, ce qu’on voyait d’abord, c’étaient les arbres. Ormes côté café, et m’a rogné en face, ils formaient une véritable voûte de verdure. Ces arbres étaient si grands qu’ils étaient visibles depuis l’intérieur du jardin de la grand-mère de GODOU. Ils avaient une telle envergure qu’ils finirent par gêner les riverains et qu’il fallut les abattre après la guerre de 1914 - 1918.
Un dicton du siècle dernier disait : Il y a autant de bonnes belles-mères en France que de peupliers droits à Bezannes ! Si les peupliers se plaisent tant à Bezannes, si les visiteurs sont frappées par tout ce vert qui saute aux yeux dès l’entrée du village, si les Bezannais sont obligés de tondre leur gazon, de désherber, de démousser plus souvent qu’à leur tour, si dans la partie basse du village toutes les maisons sont bâties sur sous-sol, il doit bien y avoir une raison. Et si c’était à cause de la Muire ?
Ce n’est que plus tard, bien plus tard, que les peupliers disparaîtront. Ce n’est que plus tard, bien plus tard que, victime du progrès, ils laisseront place à une forêt de panneaux, sens interdit, sens giratoire, entourant un bien triste rond-point, et mettant en valeur le transformateur de l’EDF qui, en partie, masquera l’église.
Le village se terminait, côté route des Mesneux, par un grand loisir très profond bordé de peupliers : les crayères. Ce fossé qui fut jadis celui d’un château fort disparu depuis longtemps, avait eu de multiples usages au cours des temps.
Au XVIIIe siècle, il avait abrité, dans sa partie droite un four à chaux que l’on chauffait avec de la tourbe (d’où son nom de crayères) tandis que, dans sa partie gauche, il servait d’aire à un jeu de paume (où menait bien sûr la rue du battoir). Avant la guerre de 1914, c’était un endroit choisi. La petite Marie-Louise DELARBRE et le jeune Pierre AUBIN, compagnons de jeu, y retrouvaient les enfants du village pour faire des roulades et les garçons et y faisaient exploser des pétards.
Petit à petit, ces fossés furent utilisés à des fins moins bucoliques. Ils prirent y prirent même des allures de décharge et, à l’extrême droite, ce qui était jadis four à chaux devint four crématoire et on y brûla les détritus.
Durant la guerre de 1914, des tranchées avaient été creusées tout autour de Bezannes, pour la protection de Reims. Et puis, par la route des Mesneux, arrivaient les câbles télégraphiques qui reliait la région à Metz et qu’il fallait également gésir un.
Après 1918, tous les fils de fer barbelés qui se trouvait dans ce secteur, aussi bien dans les tranchées que le long des lignes de liaison, c’est dans les fameux fossés qu’on les transporta. C’est là également à l’aide de petites charrettes, les bezannais sinistrées venaient déverser tous les éboulis de carreaux de terre de leurs maisons bombardées. Des démolitions, des fils de fer barbelé, il y en a avait tant que les fossés furent bientôt complètement remblayés. Près vite, l’herbe recouvrir ces souvenirs d’un autre temps et l’endroit redevint une entrée de village paisible et pimpante.
En France, avant la guerre de 1914, le "Café" tenait une place importante dans la vie des gens. Plus qu’un endroit où l’on boit, le café était avant tout un lieu de rencontres, animé, chaleureux, où les clients se connaissaient et se retrouvaient régulièrement. Cafés littéraires, politiques, cafés de campagne où l’on venait en famille, guinguettes ... ils évoquent toute une époque, tout un art de vivre !
Notre village n’échappait pas à cette mode et nos deux cafés étaient très florissants. Le café de la Place était très fréquenté par les Rémois. Les gens arrivaient à pied, en carriole et, dès 1902, ils prirent le CBR, petit tortillard qui reliait Reims à Dormans et dont notre village était le premier arrêt campagnard. Les voyageurs arrivaient alors directement de la gare par le chemin des Hautes Feuilles,, ils suivaient un sentier à travers champs, derrière les habitations, et gagnaient le café par un petit pont qui enjambait la Muire.
Mais le moyen de locomotion, sans doute le plus employé par les Rémois, c’était la voiture à deux places. Le dimanche et les jours de fête, une grande file de ces fines voitures noires à cabines fermées, avec cheval et cocher, s’allongeait depuis l’église jusqu’au carrefour de la Mairie ... C’était en quelque sorte les taxis de l’époque !
Lorsque Madame Andrée Merceron naissait à Bezannes en 1898, le café de Bezannes appartenait à ses grands-parents, Monsieur et Madame GODOU.
Il était dans la famille Pons, une des plus anciennes familles bezannaises, depuis longtemps déjà, puisque la grand-mère GODOU, issue de la famille Ponce y était née. C’était d’ailleurs son propre père, maçon de son état qui avait construit le café ainsi que les maisons voisines. Monsieur et Madame GODOU avait une petite employée qui les aida durant de nombreuses années et à laquelle ils étaient très attachés. Cette petite employée, c’était Jeanne HÉMARD.
Le jour où la petite Jeanne entra pour la première fois au service des grands-parents GODOU, elle ne se doutait sans doute pas que son destin serait lié à celui du café de la place et que... Un jour, le café GODOU deviendrait pour les bezannais, le café de Jeanne AUBIN.
En effet, lorsqu’en 1906 Monsieur et Madame GODOU prirent leurs retraites pour se retirer dans la maison voisine, c’est tout naturellement à la petite employée qu’ils confièrent le café. Jeanne épousa alors un rémois, Monsieur Gaston AUBIN. Café GODOU ... Café AUBIN, on ne peut en tous cas évoquer le café de la place, sans parler de son merveilleux jardin traversé par la Muire et de choisir tonnelles !
Ce jardin, ces tonnelles, tout le monde en parle encore ici. Imaginons ... Une double haie de tilleuls descendant jusqu’à la Muire, des tables et des bancs sous leur ombrage, et ses fameuses tonnelles, choisir le long de la Muire, puis choisir contre le mur, avec leur armature en treillage de bois, recouvertes selon les époques ... selon les souvenir s... de lierre, de chèvrefeuille, de rosiers. On ne peut pas non plus évoquer le café de la place sans parler des spécialités de Madame GODOU : l’omelette au lard qui attirait de nombreux amateurs le dimanche, et puis le pâté en croûte à la rémoise et le Brochet de Muire dont elle avait le secret mais qui, eux, étaient réservés pour les repas sur commande. Vous l’avez compris, Madame GODOU était une fine cuisinière. Au-dessus du café il y avait une grande salle qui pouvait recevoir mariages et banquets, ce qui mettait une certaine animation dans le quartier. Plus tard, Monsieur Gaston Aubin, qui choisira d’être charcutier, reprendra à son compte toute la partie traiteur et continuera pendant un certain temps à organiser noces et choisir. Café GODOU... Café AUBIN, pendant près d’un siècle, toutes les fêtes concernant le village se passèrent là. Guerre 14-18 : Jeanne Aubin, elle aussi s’en alla. Elle ne ferma pas le café : peut-être des gens pourraient-il y coucher ? Des gens, il en passa en effet : des soldats français, des soldats allemands, des réfugiés venant des Ardennes ! Quand les bezannais rentrèrent en novembre, il n’y avait plus un meuble, plus une table dans le café, mais de la paille partout. Il n’y avait plus un seul animal dans les fermes. Les cultivateurs se partagèrent quelques vaches retrouvées çà et là pour démarrer. Après la guerre, les clients rémois étaient revenus aussi nombreux au café Aubin, toujours attirés par le côté champêtre de l’établissement. Monsieur AUBIN tuait le cochon une fois par semaine et vendait sa charcuterie. Comme il était chasseur, il avait ramené un sanglier qu’il élevait dans la grange. Le sanglier, apprivoisé, s’aventurait très souvent dans le café. Les clients le connaissaient bien, et lui avaient donné un nom " Noisette" et s’amusaient à le nourrir de sucre.
De nombreuses fermes, en effet, étaient garnies d’une vigne, et même la mairie école était recouverte de sa vigne, sur la façade côté jardin. On sait que jadis, Bezannes était un pays de vignoble. D’ailleurs, du temps des seigneurs de Bezannes, il y avait ici d’importants pressoirs banaux et l’on retrouve dans les " terriers de l’archevêché " de nombreuses traces de réglementation et de litige qui prouvent que le vignoble tenait une grande place.
A la fin du 18e siècle encore, les propriétés appartenant aux vignerons étaient recensées. C’étaient les " treize maisons ". Bezannes possédait des pressoirs très importants (allant du 9 au 13 rue des Pressoirs) comportant de nombreuses dépendances, d’impressionnantes caves souterraines où qui jouaient encore les enfants, clandestinement, au début de ce siècle, des chemins d’accès tout autour et une place pour faciliter le trafic (devant le n° 8). On retrouve également trace d’un chemin partant de l’intersection de la route des Mesneux et du chemin des Têtes de Fer, et où avait lieu des processions dans les vignes : la Prieuse.
Les vignes furent arrachées progressivement. Il n’en existait pratiquement plus en 1830. Elles furent remplacées par du seigle, de l’avoine et de la luzerne.
A la fin du 19e siècle pourtant, il en restait quelques-unes et en particulier côté route des Mesneux, à hauteur du cimetière, " les Vautes " à droite, " les Nirvalles " à gauche et le " Champ Ferrat " qui appartenait à Monsieur LABASSÉ, et jusque derrière le grand bois Lambert, près de l’avenue d’Epernay.
Ces vignobles permettaient aux bezannais de déboucher la bouteille du dimanche et au café GODOU d’offrir à sa clientèle son fameux petit vin de pays rouge et blanc.
Ce 29 août 1944, l’abbé Delattre était passé dans les rues du village en criant : Rendez-vous au calvaire ! Rendez-vous au calvaire ! Les américains sont là !
Les américains, on les attendait de pied ferme, et même, on trouvait le temps long. Depuis plus de huit jours on avait terminé les drapeaux que l’on accrocherait aux fenêtres, en découpant des vieux draps, en teignant des tissus en bleu, en rouge.
On trouvait le temps long car on savait que dans d’autres villages des environs ils étaient déjà passés, et puis, Henri DERVIN, avec son petit poste à galène, avait capté un message : les américains étaient à Villers-aux-Nœuds !
Alors ce soir là, lorsque l’abbé Delattre était passé dans le village, la nouvelle s’était propagée de rue en rue. De partout, les gens étaient sortis des maisons, en courant, joyeux, et au calvaire, devant un poignet de jeunes yankees en jeep, ils avaient fait une ronde, qui avait grossi de minute en minute, et s’étaient mises à chanter : La marseillaise.
Et puis, avant d’aller à l’église où il sonnera les cloches à toute volée, ce qui s’entendra jusqu’à Maison Blanche, l’abbé Delattre avait prié devant le calvaire, devant ce calvaire tout neuf qui avait été un témoignage, et qui allait devenir un symbole ...
A cette époque, Monsieur Jean Fondeur s’en souvient, la vie religieuse était très riche et les manifestations étaient nombreuses. Souvent on organisait des missions intercommunales. Mais cette année-là, aux dires de tous, il s’était passé quelque chose d’exceptionnel. Etait-ce du à la personnalité des deux missionnaires, le père Séraphin et le père Martin, capucins en robe de bure, était-ce du au fait que ces quatre années d’occupation avaient créé un climat particulier, en tous cas, la mission de cette année-là avait été une expérience " à part " au cours de laquelle l’abbé Delattre et les deux missionnaires étaient arrivés à réunir à l’église tout le village, jeunes et vieux, croyants et non croyants, où chaque soir pendant une dizaine de jours, un sujet nouveau fut traité et o ?, un soir, on osa même aborder le thème de la guerre, en disposant par terre un casque et un fusil figurant un soldat tué. Après cette mission exceptionnelle où tous les bezannais s’étaient sentis soudés les uns aux autres, il fallait faire quelque chose d’exceptionnel. Alors on avait eu l’idée du calvaire. Il fut construit le 18 février 1944. Là encore de nombreuses personnes avaient participé, des jeunes, des vieux, des croyants ... Des non croyants. Parmi ces bezannais, Monsieur Max LAMARLE (père de Madame MARNET) qui se lia même d’amitié avec le père SÉRAPHIN qui fit son portrait et correspondit longtemps avec lui. Dans le socle maçonné, une bouteille fut scellée. Elle contient le nom de tous les bezannais qui participèrent au travail. Une souscription fut faite dans le village et, quand le christ fut installé quelques mois plus tard, les bezannais avaient eu le temps de planter les arbustes, de semer une plate-bande de gazon, sur cette pointe de terrain offerte par Madame DUNTZ, propriétaire du château. Et voilà qu’au milieu de tous ses participants, à la surprise générale, on avait découvert le père CORNELLI. Le père CORNELLI c’était ce vieux menuisier qui habitait route de Sacy et qui, jadis, fabriquait même parfois des jouets. Raymond Mathieu se souvient de la petite charrette qu’il lui avait confectionné dans son enfance ... Athée, on peut dire que le père CORNELLI l’était, et au-delà du possible, et pourtant, lors de cette fameuse mission, il était présent. Monsieur Henri Fondeur le revoit, ne manquant pas une seule de ces soirées où, chaque fois, les bezannais drapaient le chœur d’une tenture différente, ils n’hésitaient pas à travailler une journée entière pour décorer, bricoler, fabriquer des morceaux de rose en papier, décor qui ne servirait que ce soir-là. Oui, on peut le dire, cette hiver 1944, les bezannais avaient assisté, étonnés, à la conversion du vieux menuisier qui continuera de fréquenter l’église par la suite, et avec les années, deviendra de plus en plus mystique.
Ce 29 août au soir, quelques bezannais manquaient pourtant à l’appel : Georges et Henri Fondeur, entraînant leur petit frère Raymond, s’étaient aventurés jusqu’à l’avenue d’Epernay où les chars américains étaient en grand nombre. Arrivés à la maison d’Orgny, ils avaient entendu des déflagrations terribles. Les allemands, en quittant Reims, faisaient sauter tous les ponts, tous sauf le pont de Laon, défendu par les résistants.
Ce 29 août au soir donc, alors que les bezannais dansaient de joie à l’entrée du village, les américains les avait mis en garde : ça n’était pas prudent, les allemands pouvaient revenir, il fallait rentrer chez soi, et vite, et attendre la libération de Reims. Alors on était rentré dans les maisons et on avait attendu l’abbé Delattre sonner les cloches, à 11 heures du soir. Ce moment, Madame Henry Fondeur (l’une des filles de Monsieur Lambert) ne l’on oubliera pas : dans tous les villages voisins, dans tous les villages de la montagne de Reims, au fur et à mesure que les américains passaient, les cloches sonnaient, se répondaient et, tard dans la nuit, on les entendait encore, émouvantes, impressionnantes. Ce moment " unique " d’autres à Bezannes l’avait déjà vécu : c’était le 11 novembre 1918. Il était quatre heures de l’après-midi. Un petit garçon avait couru jusqu’au clocher et, le plus longtemps qu’il avait pu, il avait sonné les cloches. Ce petit garçon, c’était Robert LAGAUCHE.
Ce 29 août au soir, les bezannais s’étaient endormis, soulagé, mais un peu inquiets. Et si les allemands revenaient ? Les allemands ? Ils avaient disparu la veille " en douceur " en empruntant des vélos par-ci par-là. Ils avaient dû quitter de nuit la kommandantur, longeaient en silence les maisons de la grande rue, cette rue dont les hauts murs mystérieux et les persiennes closes gardaient si bien les secrets. A l’autre bout de la grande rue, Madame Sacré, seul avec son petit garçon, n’avait rien entendu mais, le lendemain, rétrospectivement, elle avait eu peur, et elle avait un peu regretté de ne pas avoir été passée la nuit chez Madame Mathieu qui le lui avait proposé. Madame Mathieu, l’institutrice des petits dont nous reparlerons. Dans un autre quartier du village, cette même nuit, un couple avait été réveillé en sursaut : Madame et Monsieur DIEDERICH. Un véhicule allemand s’était engagé rapidement dans le bout de la rue de Baconnes et, dans ce chemin toujours humide, dans ce champ toujours " à fleur de Muire ", il s’était embourbé. Après maintes manœuvres, il avait fini par rentrer dans le mur de leur maison.
Le 30 août, à 6 heures 30 du matin, Reims était libéré par les troupes du maréchal Patton, et c’est un jeune messager qui était venu l’annoncer depuis Reims, à bicyclette. Ce jeune messager, c’était André MONDET, le fils de la boulangère, qui était cuisinier au Lion d’or. Alors on était ressorti des maisons et on était allé travailler dans les champs. Parfois, on entendait au loin des grondements, des bruits de char, et on s’inquiétait un peu. Colette, Yvette et Evelyne Vernier, depuis le chemin d’Ormes, avaient vu des véhicules militaires circuler à grand bruit sur la route de Dormans : les allemands revenaient en direction de Reims ! Alors prudemment, elles s’étaient enfoncées dans le petit bois Lambert. Mais, maintenant on en était s ?r, d’autres grondements étaient perceptibles, se rapprochaient, s’amplifiaient, venant de Reims ...
Le 30 août 1944, tôt le matin, les américains étaient entrés dans Bezannes. Venant de Maison Blanche, les chars étaient passés devant la gare, devant la maison de Monsieur Robert LAGAUCHE, devant la ferme de Monsieur Fondeur et avaient traversé tout le village. Acclamés par les gens sortis sur le pas de leur porte, fêtés par les jeunes filles qui leur offraient des fleurs, les militaires avaient lancé sur leur passage des chocolats, des bonbons, et de curieuses tablettes empaquetés que les enfants allaient découvrir à cette occasion, le chewing-gum. Puis tous les jeunes s’étaient habillés en "bleu blanc rouge" et, en bande, ils s’étaient rendus à Reims, à Reims qui était en liesse. A Bezannes, les Américains s’étaient installés à la place des Allemands, dans le château de la Grande Rue et dans celui de la rue de Baconnes. Mais ils ne feront que passer, en se relayant. Pour eux la guerre n’était pas finie. Il y aurait encore la bataille des Ardennes, puis l’Alsace, puis l’Allemagne.
Ca n’est qu’en mai 1945 que les prisonniers, dont Monsieur Pierre AUBIN, regagnèrent Bezannes. Fin mai. Le jour de la fête patronale, fête qui fut organisée au dernier moment, par les jeunes, pour "marquer le coup". Mais la fête qui restera dans les esprits, elle avait eu lieu un peu avant, le 15 avril, dans l’atelier de Robert LAGAUCHE, au profit des prisonniers, déportés et requis, et tout le village avait participé. Robert LAGAUCHE, Armand Klein, Lucien KAUFFMANN, entre-autres, avaient dressé une estrade, décoré la salle. Ici tout le monde se souvient de cette fête. C’était la fête de l’espoir, en attendant d’autres fêtes qui, bientôt, auraient lieu de nouveau sur la place, dans le jardin de Jeanne Aubin.
Comme autrefois.
Mais l’engouement des rémois pour Bezannes n’était pas seulement lié à la mode. Il n’était pas seulement dû à sa proximité de la ville. Sans aucun doute, Bezannes était un village particulièrement attirant pour des citadins épris de nature. D’un bout à l’autre, de parc en parc, de propriété en propriété, bordant la Muire, ceinturant le village, il y avait des arbres partout. Si l’on rencontrait une majorité d’ormes et de peupliers dans la périphérie, au centre du village, il y avait surtout des tilleuls...et puis de la vigne : de nombreuses fermes, en effet, étaient garnies d’une vigne, et même la mairie école était recouverte de sa vigne, sur la façade côté jardin. Sur la place, ce qu’on voyait d’abord, c’étaient les arbres. Ormes côté café, et marronniers en face, ils formaient une véritable voûte de verdure. Ces arbres étaient si grands qu’ils étaient visibles depuis l’intérieur du jardin de la grand-mère de GODOU. Ils avaient une telle envergure qu’ils finirent par gêner les riverains et qu’il fallut les abattre après la guerre de 1914 - 1918. Un dicton du siècle dernier disait : Il y a autant de bonnes belles-mères en France que de peupliers droits à Bezannes ! Si les peupliers se plaisent tant à Bezannes, si les visiteurs sont frappées par tout ce vert qui saute aux yeux dès l’entrée du village, si les Bezannais sont obligés de tondre leur gazon, de désherber, de démousser plus souvent qu’à leur tour, si dans la partie basse du village toutes les maisons sont bâties sur sous-sol, il doit bien y avoir une raison. Et si c’était à cause de la Muire ? Ce n’est que plus tard, bien plus tard, que les peupliers disparaîtront. Ce n’est que plus tard, bien plus tard que, victime du progrès, ils laisseront place à une forêt de panneaux, sens interdit, sens giratoire, entourant un bien triste rond-point, et mettant en valeur le transformateur de l’EDF qui, en partie, masquera l’église.
La Muire mesure environ 5 kms. Elle prend sa source quelque part dans la montagne de Reims, et c’est une résurgence de la Muire que nous voyons apparaître entre le champ de Monsieur MAUPRIVEZ et celui de Monsieur GAILLOT. En 1840, dans un précis de statistiques, elle était déjà désignée comme " la source légèrement ferrugineuse d’un faible ruisseau souvent tari en été".
Traversant le village de part en part, la Muire courait sous les arbres. Elle était alimentée par une source fraîche, longeait une fosse profonde, passait derrière le café de la place, et serpentait dans tout le village, offrant partout des coins charmants pour se reposer et pour pêcher... Eh oui ! En ce temps là vous pouviez pêcher à Bezannes.
On pouvait même s’y baigner, mais surtout dans la fosse où l’eau était claire et propre. Les jeunes de Bezannes ne s’en privaient pas. Toutefois, Monsieur HERPET n’oubliera jamais le jour qui o ?, en pleine fête de 14 juillet 1902, le jeune Paul MILLET se noya sous les yeux de ses camarades. Cette fosse, qui existe toujours, c’était " l’étang ". Elle a été doublée par une fosse " la mare ", située de l’autre côté de la Muire. Profonde, elle aussi, en son milieu, elle était entourée d’une pente douce et herbue et o ? venaient boire les chevaux, les vaches, ainsi que les troupeaux de moutons que les bergers ramenaient du parcage.. et vous poussiez jusqu’à la Vanette. La Vanette, c’était la plage de Bezannes... oui, bien sûr le terme de plage est un grand mot mais, tout de même c’était fort réputé et vous y rencontriez même des Rémois. Seuls les garçons y allaient. Pour les filles c’était vraiment trop froid. Et puis ça ne se faisait pas. Puis vous alliez vous rhabiller dans le petit bois tout proche et vous rentriez au village. Vous pouviez alors aller à la mare pêcher des grenouilles, capturer des têtards, ou bien surveiller les gros brochets qui sillonnaient l’étang profond. Et puis pendant la guerre les avions anglais s’étaient délestés de leurs réservoirs à essence, alors, en leur ajoutant une quille, vous transformiez en bateaux ces coques flottantes. S’il vous restait un moment avant le dîner, alors vous alliez patauger dans la Muire où, en bordure des jardins, il y avait souvent des nasses pleines de poissons. André HABERt et André SACRÉ, les plus jeunes, n’accompagnaient pas toujours les grands mais parfois, l’hiver, ils allaient glisser sur l’étang pris en glace et sauter d’un bloc à l’autre, ce qui pouvait parfois se terminer en bain forcé Monsieur René ALLARD se souvient... Lorsqu’il rentrait des champs avec Monsieur PRÉVOT père il conduisait toujours ses chevaux à la mare et leur faisait faire plusieurs tours dans l’eau, pour les rafraîchir et les nettoyer. Disons-le franchement, ici, nous sommes tous des nostalgiques de la Muire même si nous ne savons pas toujours exprimer comme Monsieur BORNET, ingénieur en retraite, riverain de la Muire... et poète.
Petite rivière fantasque et imprévisible, elle est capable de remplir complètement son lit et de disparaître aussi vite sans raisons apparentes. Elle est liée en tous cas à tout un système de montée d’eau qui remplit vos caves, baigne votre potager, n’épargnant guère que la partie haute du village o ? la petite montée de la rue des Pressoirs suffit pour pallier cet inconvénient. A ces considérations écologiques, Monsieur BORNET ajoute son point de vue, plus scientifique : "Quand la Muire coule, son débit est régulier et relativement important. La nappe phréatique est alors haute et certaines caves sont inondées. Puis, brusquement, la Muire cesse de couler pendant des mois, parfois des années, n’évacuant plus que les ondées. La nappe phréatique s’abaisse donc et les caves s’assèchent. Ce phénomène provient vraisemblablement d’une situation géologique particulière.
Il semble que la montagne de Reims et dans la plaine existe une couche de sable comme on peut le constater à Pargny et à Sacy. Aux abords de Bezannes, ce sable doit être compris entre deux couches de terrain imperméable qui forment un siphon dont le point bas de déversement est au niveau de l’étang de Bezannes et de la Muire ... et inonder les caves. La nappe baisse alors progressivement et, quand elle atteint le niveau de désamorçage du siphon, la Muire s’arrête de couler. La nappe phréatique baisse... et les caves s’assèchent. Entre deux périodes d’étiage, la Muire évacue le volume d’eau compris entre les niveaux d’amorçage et de désamorçage du siphon."
Mais les aventures de la Muire ne s’arrêtent pas là. Et pour pouvoir réaliser tout ce programme il avait fallu rayer de la carte deux petites rivières qui passaient par-là, le Rouillat et la Muire, la Muire qui, un peu avant le bois de la Vanette, continuera son trajet souterrain, jumelée avec une canalisation d’égout.
Cette Muire souterraine, voulez-vous que nous la suivions ensemble ? Rien de plus facile. Au début, il suffit de longer les petits saules qui la bordent, tout le long de la route. Passé le carrefour Diderot, elle fait un coude et bifurque en direction de Tinqueux. A partir de ce moment-là, rien de plus facile, elle a laissé son nom partout. Elle traverse la place des Ormes de Muire, s’engage au fond des jardins vallonnés de la rue de Muire, débouche route Soissons, ente le n° 45 et 47 passe devant le groupe scolaire du Pont de Muire (ce pont de Muire où Monsieur LABASSÉ, le fils, se rendait depuis bezannes en barque plate) elle se glisse dans le complexe sportif de la Muire, traverse le Centre Aéré de la Muire, flâne dans les jardins ouvriers, des jardins maraîchers, et reprend sa liberté en se jetant dans la Vesle, dans un endroit charmant bordé de cabanons colorés et fleuris.
En 1966, notre village eut un bien triste privilège. Il avait les honneurs du journal local "l’Union". "A Bezannes, le chauffage ne fonctionnait plus depuis six jours.
Le sous-sol de deux pavillons neufs de la rue du Pont, à bezannes, nage lui aussi sous vingt centimètres d’eau. A tel point que les chaudières qui distribuent le chauffage dans ces deux maisons ont été noyées la semaine passée. Depuis lors, les occupants des deux pavillons, M et Mme SCHELFORT et M et Mme BENOITON, ont dû se chauffer avec des moyens de fortune en attendant que les ouvriers d’une entreprise viennent, hier, surélever les chaudières et les remettre en route. Il n’y a pas de dégâts, mais l’on se demande quand et comment l’eau qui noie ces sous-sols sera évacuée."
Il faut dire que, pendant les hivers 65, 66, 67, 68 et même l’été 1966, la remontée des eaux avait fortement inquiété les bezannais. Ces années-là, l’eau avait rempli la Muire à ras bord, effleurant le pont des Noes, sortant des bouches d’égout, donnant des allures de lac à l’étang de Madame Pons et transformant en marécage le quartier de la rue Victor LAMBERT, côté Muire. Et puis, évidemment, elle avait rempli les caves. Chez madame DAMIDAUX, à la ferme GOUSSIER, elle arrivait jusqu’en haut des marches, sur la rue. Chez Monsieur Fondeur à la ferme Sainte-Thérése, on avait même mesuré sa remontée annuelle dans le sous-sol (50 cm le 15 9 66, 31 cm le 13 3 67, 17 cm le 6 3 68, ces dates représentant le point maximum de l’année). Chez Monsieur Velu, 17 rue Victor Lambert, la situation n’était guère plus brillante : il n’habitait pas encore la maison qu’il avait fait construire et, lorsqu’il venait le week-end, il lui fallait patauger dans son jardin gorgé d’eau, pour atteindre sa maison, et constater que son sous-sol était inondé. Dans de pareils cas certains se seraient démoralisés. Pas Monsieur Velu. Lui, il s’était immédiatement mis à bricoler et, à partir de pièces de machine à laver, il avait fabriqué une pompe qui rejetait l’eau de sa cave. Mais c’est sans doute dans le tout nouveau quartier de bezannes que les choses avaient été les plus graves, dans ces maisons qui venaient d’être construites à la place du verger GOUSSIER. L’eau avait envahi complètement les caves, traversant en montant les dalles cimentées, rue du Pont (Charles de gaulle) chez Monsieur BENOITON et chez ses voisins ont du rehausser les chaudières, chaudières qu’on allait charger avec peine, l’eau arrivant jusqu’en haut des bottes. Impasse du château, c’était la même chose. Chez Monsieur CHOBEAU, ce fut encore plus étonnant. Arrivé en 1964, c’est en 1966 que Monsieur CHOBEAU avait fait transformer son chauffage à bois, pour le mazout. Il fit donc installer une cuve dans son sous-sol, cuve bien arrimée, sous une dalle cimentée pourvue d’une trappe. Une cuve, il en avait également acheté une pour son frère, agriculteur dans les environs, et il l’avait posée sur la trappe, au-dessus de sa propre cuve. Lorsque son frère était venu prendre possession de sa cuve, toute la famille était sortie dehors pour aider au chargement, lorsque soudain, des bruits insolites, inconnus, énormes, attirèrent leur attention. Se précipitant au sous-sol, Monsieur et Madame CHOBEAU assistèrent alors à une scène de cauchemar : sous la poussée de l’eau, leur cuve, une cuve de 1500 litres, avait lâché ses amarres, et était en train de remonter sous leurs yeux, telle un sous-marin, de soulever la trappe, de casser le ciment... Bien souvent, dans les hivers qui suivront, Madame CHOBEAU, avant de s’endormir, guettera les bruits suspects, inquiète, marquée par cette scène incroyable !
Pénibles pour les riverains qui devaient écoper, colmater, badigeonner, ces années pourtant ne laissèrent pas que de mauvais souvenirs. Il y eut certes quelques compensations. Des explications scientifiques existent pour les problèmes de la Muire. Afin de prévoir et d’éviter les remontées d’eau possible, afin de remettre en état la Muire et d’améliorer son écoulement, la municipalité a fait faire une étude hydrogéologique, d’où il ressort que deux problèmes différents sont ici en présence, la Muire ayant en fait deux fonctions. La première, c’est d’évacuer les eaux pluviales (fonction évidemment liée aux conditions météorologiques et écologiques, à la pollution, au déversement des égouts dans l’étang, au détournement du ruisseau par l’homme qui favorise la stagnation, à sa mise sous dalots). La seconde fonction, c’est le drainage de la nappe phréatique, qui concerne le sous-sol, évidemment fait de calcaire imperméable et de limons, mais aussi lié à la présence de failles profondes qui furent décelées grâce à des photos aériennes. D’ailleurs, l’émergence de la Muire se produit au point de convergence de trois fractures possibles. Quant aux variations, elles sont aussi de deux sortes : les variations annuelles avec une phase de rechange de la nappe d’octobre à mars, et une phase d’abaissement d’avril à septembre, et les variations interannuelles, fluctuations beaucoup plus lente dans le temps, et plutôt imprévisibles. Vous aimez les explications logiques, scientifiques ? Vous aimez les constatations rassurantes démontrant que toutes les histoires sur la Muire sont fausses, y compris celle parlant d’un lac souterrain qui déborderai tous les sept ans ? Dans ce cas, vous savez tout sur la Muire. Mais peut-être préférez-vous les légendes ? Les choses inexplicables ? Alors, surveillez bien la Muire ... Regardez la lorsqu’elle sort du centre éducatif, du parc de Monsieur DÉPREZ pour se perdre dans les champs. Admirez-la quand elle traverse en larges boucles la propriété de Monsieur Jean FONDEUR. Jetez un oeil au pont des Noes, surveillez les traces qu’elle aurait pu laisser sur le mur de la maison de Marie Parmentier. Et puis, gagnez le chemin des Hautes Feuilles, continuez tout droit jusqu’au mur (derrière ces murs, si vous saviez, ce ne sont que fleurs, potagers ou légumes bien alignés, jardins de curé, entretenus par de fines jardinières bezannaises, perce-neige couvrant les talus du café Aubin. Admirez l’église au passage : et engagez vous sous les bois. Tout est là, la fosse, le bras mort, et, si vous le souhaitez, le mystère. Un mot encore, allez-y au printemps, alors que tout ce coin est envahi par de grandes ombellifères blanches. Si vous préférez les légendes, les choses inexplicables, surveillez bien la Muire, petite rivière un peu sorcière, l’un des charmes oubliés de votre village.
Il y avait des prisonniers français à Bezannes. Au début, ils semblaient libres. Ils travaillaient dans les fermes et certains furent chargés des réparations électriques. Un jour, l’un d’eux fut électrocuté en haut d’un poteau, à l’entrée de la route des Mesneux. On parla d’accident, de courant remis trop tôt, mais ne parla-t-on pas aussi de suicide, de peur d’aller en Allemagne ? Les bezannais avaient créé des liens d’amitié avec ces prisonniers. Madame DIEDERICH revoit encore son petit garçon prendre chaque jour sur son propre repas pour aller porter à manger aux prisonniers. Dans toutes les fermes on les aidait en cachette, comme on pouvait. On les croyait libres... de même, Monsieur Elie Habert qui avait été pris dans les environs, eut le droit de regagner Bezannes pour faire la moisson. On lui demandait simplement de se faire pointer à la kommandantur... Comment aurait-il pu se sauver, aurait-il pu ne pas se faire pointer ? Au début, c’était un peu la débandade et on sait que certains l’ont fait. Mais la plupart d’entre eux n’y pensaient pas ou avaient peur des représailles. En tout cas, très vite, ce ne fut plus possible et lorsque ces prisonniers furent repris et enfermés une semaine à l’école des Mesneux, lorsque ensuite Madame HABERT traversa tout le village en courant, affolée, avec ses deux enfants, avec Madame Reksa, avec des voisins, pour essayer de joindre la troupe de prisonniers qui traversait notre village en rangs serrés, tout le monde fut là pour la réconforter : qu’elle se rassure, ils n’iraient pas loin, ça ne durerait pas longtemps, la guerre était finie ... Personne ne songea un seul instant que ces hommes étaient en route pour l’Allemagne et qu’ils y resteraient cinq ans et demi. Plusieurs bezannais furent dans ce cas : il y eut Monsieur Pierre Aubin ; il y eut Monsieur Reksa ; puis Monsieur Marcel TRITAN pour qui ces cinq années s’ajoutèrent, sans transition aux trois années de service militaire qu’il venait de faire et qui se trouva éloigné des siens pendant huit ans ; il y eut Monsieur Robert LAGAUCHE qui fut pris dans l’Est par des SS, vécut des moments abominables et, malade, fut rapatrié en août 41 à Bezannes ou il lui fallut des mois pour guérir. Comment pourrait-on en quelques lignes relater tous leurs souvenirs ? C’est impossible... Et pourtant... Imaginez, imaginez un camp allemand au fin fond de la Bavière. Dans ce camp, 8000 prisonniers. Robert LAGAUCHE est là, sans nouvelles de sa famille bezannaise. Et voilà que dans ce camp o ? jamais, absolument jamais rien ne devait traîner, il remarqua un petit papier par terre : tout petit papier maculé de boue : c’était un article de l’Eclaireur de l’Est, une annonce. Bouleversante. Imaginez encore... Dans ce même stalag, un nouvel arrivage de prisonniers français. Avant la fouille et la douche, on les parque dans une baraque de toile. Monsieur LAGAUCHE, toujours à la recherche de nouvelles, furète partout ; avec deux camarades, il arrive à dénouer une corde et se faufile dans la tente. Là, il demande à tout hasard, si quelqu’un a des nouvelles de la Marne. Des nouvelles de la Marne, il va en avoir... Deux de ces hommes viennent du camp des Mesneux. Ils ont travaillé à Bezannes, ont participé aux travaux électriques. Le fil de cuivre, c’est chez Madame LAGAUCHE qu’ils l’ont acheté. Leur pain, c’est Monsieur LAGAUCHE père qui leur vendait. Bezannes, ils l’ont traversé à pied avec le petit groupe en partance pour l’Allemagne. Monsieur Sylvain LAMBERT, l’instituteur, lui, fut blessé en juin 1940, très gravement atteint à la jambe, il dut rester en zone libre jusqu’à son rétablissement. Monsieur François DIEDERICH, lui, avait déjà fait la guerre précédente pendant quatre ans, dans les tranchées de Verdun, et pourtant à 39 ans, il se trouva " requis " en raison de sa spécialisation d’ajusteur, et envoyé jusqu’à l’évacuation, à la cartoucherie de Vincennes. Et puis, le saviez-vous ? Un autre bezannais participa à cette guerre, en tant que militaire de carrière. Il n’avait pas été beaucoup dans notre village car il avait été mis très jeune dans les enfants de troupe par son père militaire. Les bezannaises souviennent mieux de son frère qui était en classe avec eux, mais Monsieur Jean KAUFFMANN revoit bien ce jeune garçon qui habitait la longue maison de la rue de Marconville. Cet ancien bezannais, c’est Yves GIBEAU. Il n’oubliera pas cette guerre, ni surtout son séjour aux " enfants de troupes " qui lui inspira un livre célèbre " allons z’enfants " dont Yves Boisset tira un film dernièrement.
A Bezannes, on y revient toujours !
A cette époque, Monsieur Jean FONDEUR s’en souvient, la vie religieuse était très riche et les manifestations étaient nombreuses. Souvent on organisait des missions intercommunales. Mais cette année-là, aux dires de tous, il s’était passé quelque chose d’exceptionnel. ...tait-ce du à la personnalité des deux missionnaires, le père Séraphin et le père MARTIN, capucins en robe de bure, était-ce du au fait que ces quatre années d’occupation avaient créé un climat particulier, en tous cas, la mission de cette année-là avait été une expérience " à part " au cours de laquelle l’abbé Delattre et les deux missionnaires étaient arrivés à réunir à l’église tout le village, jeunes et vieux, croyants et non croyants, o ? chaque soir pendant une dizaine de jours, un sujet nouveau fut traité et o ?, un soir, on osa même aborder le thème de la guerre, en disposant par terre un casque et un fusil figurant un soldat tué. Après cette mission exceptionnelle o ? tous les bezannais s’étaient sentis soudés les uns aux autres, il fallait faire quelque chose d’exceptionnel. Alors on avait eu l’idée du calvaire. Ils fut construit le 18 février 1944. Là encore de nombreuses personnes avaient participé, des jeunes, des vieux, des croyants ... Des non croyants. Parmi ces bezannais, Monsieur Max LAMARLE (père de Madame MARNET) qui se lia même d’amitié avec le père Séraphin qui fit son portrait et correspondit longtemps avec lui. Dans le socle maçonné, une bouteille fut scellée. Elle contient le nom de tous les bezannais qui participèrent au travail. Une souscription fut faite dans le village et, quand le christ fut installé quelques mois plus tard, les bezannais avaient eu le temps de planter les arbustes, de semer une plate-bande de gazon, sur cette pointe de terrain offerte par Madame DUNTZ, propriétaire du Château. Et voilà qu’au milieu de tous ses participants, à la surprise générale, on avait découvert le père CORNELLI. Le père CORNELLI c’était ce vieux menuisier qui habitait route de Sacy et qui, jadis, fabriquait même parfois des jouets. Raymond Mathieu se souvient de la petite charrette qu’il lui avait confectionné dans son enfance ... Athée, on peut dire que le père CORNELLI l’était, et au-delà du possible, et pourtant, lors de cette fameuse mission, il était présent. Monsieur Henri Fondeur le revoit, ne manquant pas une seule de ces soirées où, chaque fois, les bezannais drapaient le chœur d’une tenture différente, ils n’hésitaient pas à travailler une journée entière pour décorer, bricoler, fabriquer des morceaux de rose en papier, décor qui ne servirait que ce soir-là. Oui, on peut le dire, cette hiver 1944, les bezannais avaient assisté, étonnés, à la conversion du vieux menuisier qui continuera de fréquenter l’église par la suite, et avec les années, deviendra de plus en plus mystique.
Toute la grande surface qui se trouve entre la Muire, la rue de Baconnes et la rue du Pont (actuellement rue Charles de GAULLE) appartenait au même propriétaire, Monsieur GOUSSIER. Un grand mur protégeait un potager et un immense verger. Une simple allée de 2 m de large, entre le jardin fruitier et la ferme, laissait un droit de passage au bezannais qui se rendait jadis l’avoir communal. Celui-ci trouvait en effet au bout de cette allée, sur une boucle de la Muire, derrière la blanchisserie LABASSÉ. Il en reste encore quelques fondations. Une porte percée dans le mur de la propriété Poulot permettait à cette famille d’y accéder directement. Un autre la voir se trouver au pont des Neaux. Et puis chaque riverain possédait sa petite planche à laver sur la Muire. Madame MERCERON se souvient qu’il y en a avait une au fond du jardin de la grand-mère GODOU. Elle servait à toute la famille mais également aux amis, moins chanceux, qui venait des autres quartiers faire la lessive.
Ce petit enclos, fermée d’une porte, aux allures de jardin, c’était le cimetière qui entourait l’église sur trois côtés. Ce cimetière au centre du village posait bien des problèmes, des problèmes d’hygiène et des problèmes de place. Entre 1726 et 1735, lors des vagues épidémiques qui déferlèrent sur la région, on avait du enterrer les morts au mont trempé, près du chemin d’Ormes, à 600 pas du village comme c’était la règle. En 1842, il y avait encore eu des cas de choléra (comme en témoigne le loisir plaque apposée aux Mesneux, au 15 de la rue de Reims). Et puis, on manquait de place. Alors, en 1864, on avait lancé une souscription et, l’année suivante, on avait installé le nouveau cimetière, route des Mesneux. Dans les années 1972, lorsque fut installé le tout à l’égout, les ouvriers eurent la surprise de dégager de nombreuses pierres tombales, le cimetière primitif devant s’étendre jusque sous les pelouses du jardin de l’ancien presbytère.
Et puis, sur la petite butte (actuellement plantée de pins, face au cimetière) il y avait un moulin, un vrai moulin à vent à deux tournants, comme celui de Verzy. Construit en 1820 par Francisquin HANIN, il fut démoli en 1902. Il devait être de bonnes proportions puisque c’est avec les matériaux de sa démolition qu’il acheta, que Monsieur LAGAUCHE fera construire sa grande maison face à la gare (2 rue Victor Lambert). Ce moulin, Madame Merceron, Monsieur Allard l’ont bien connu. Monsieur René ALLARD, enfant allait souvent y conduire du grain pour faire de la mouture à cochons. Par la suite, qu’on avait creusé un puits profond (qui existe encore) afin d’atteindre une source souterraine. C’était la cuve qui alimentait Bezannes en eau potable.
C’est en 1902 que furent inaugurés en grande pompe, avec la participation du maire M. HÉRISSON, la petite gare de Bezannes et le premier train.
Cette date, elle allait être extrêmement importante pour notre village qui, relié à Reims, allait démarrer son évolution sur tous les plans. C’avait été le déferlement des citadins qui arrivaient par familles entières, et l’essor de nos deux cafés et de nos quelques commerces. Au printemps des horaires spéciaux avaient été aménagés pour les promeneurs du dimanche, et il y avait aussi des trains supplémentaires en avril pour le pèlerinage de Saint Lié à Villedommange, puis pour la saison des vendanges, et les bezannais voyaient passer alors des trains entiers de vendangeurs en bandes joyeuses. C’avait été le développement du commerce agricole, le transport des betteraves pour les sucreries de Fismes ou de Saint-Germainmont, celui des machines agricoles. Ce développement, dès le début, Monsieur Jean LAGAUCHE l’avait pressenti. C’est pour cela qu’il avait bâti de ses mains, avec l’aide de son beau-frère maçon, sa maison et son atelier à cet emplacement, juste en face de la gare. C’avait été la guerre de 14-18 o ? la petite gare de Bezannes avait pris une grande importance. Evacuation des blessés, ravitaillement des troupes et, lorsque la gare de Reims avait été bombardée, Bezannes était devenu tête de ligne, position des plus dangereuses. Il avait alors fallu camoufler, construire un hangar pour la locomotive, pour que la fumée ne soie pas aperçu des guetteurs qui se trouvaient dans les ballons captifs car, alors, les obus pleuvaient. Et puis c’avait été l’évacuation et de nombreux rémois étaient arrivés à pieds, de nuit, dans notre petite gare. Mais le CBR c’était aussi le folklore. Le CBR c’était toute une époque ! il allait si lentement que vous pouviez le suivre à pieds et, lorsqu’il arrivait à la grande côte de la maison d’Orgny, il valait mieux descendre pour l’alléger un peu. De toutes façons, vous aviez largement le temps de batifoler, de cueillir quelques pâquerettes, et vous le repreniez sans problème en haut de la côte. Ensuite, lorsqu’il traversait le quartier de Sainte-Anne, les gamins se suspendaient derrière et voyageaient gratis jusqu’au pont de Fléchembeau. Des souvenirs du CBR, des souvenirs de la petite gare, tout le monde en a ici. Monsieur Robert LAGAUCHE quant à lui revoit le jour où Madame Poulot avait pris le train avec ses filles. Madame Poulot, c’était une personne très importante à Bezannes. Importante pour de nombreuses raisons. D’abord elle était l’épouse de Monsieur PULOT-TRICOT, des tissages, rue Clément FOURIAUX. Ensuite, elle habitait la grosse villa de la rue de Baconnes et possédait en plus, derrière la gare, un petit bois aménagé avec portique, balançoire et chalet pour les invités. De plus, elle circulait dans une belle limousine conduite par un chauffeur, Monsieur DUPRÈ, tandis que ses filles avaient chacune un cheval, Darling et Pacha. Et puis, il faut le dire, Madame Poulot était également très importante de par son tour de taille. Bref, entre nous, comment voulez-vous que l’on fasse monter une dame aussi importante dans un wagon surchargé de voyageurs ! Alors le chef de gare (il s’appelait Monsieur RENAUD à cette époque) n’avait pas hésité une seconde. Il était allé dans sa maison, il avait pris des chaises bien rembourrées, bien confortables, et il les avait installées dans le petit compartiment derrière la locomotive et qui était réservé au courrier. Et c’est ainsi que madame Poulot et ses demoiselles avaient voyagé jusqu’a Dormans. C’est en 1947 que tout s’était arrêté. On avait alors vendu les traverses de bois aux bezannais comme bois de chauffage. Depuis bien des années d’ailleurs le CBR ne transportait plus que des betteraves. Les voyageurs, eux, devaient se rendre à pieds jusqu’à la "Chaise au plafond" pour prendre le tramway puis, plus tard, l’autobus. Masi ça n’était pas un problème et même, lorsque chaque jour les étudiants faisaient le trajet en bande, ça pouvait être franchement drôle. En tous cas ça fait partie maintenant des souvenirs. des bons souvenirs.
Les enfants, eux, ne ressentaient pas ces problèmes en marche. Ils étaient heureux. Ils se rendaient au grand bois Lambert ; ce bois qui a gardé des airs lugubres, ce bois qui fut par deux fois tristement historiques, et ils jouaient dans les tranchées, dans les sapes, les galeries, dans ces mêmes tranchées qui avaient jadis abrité les jeux de Robert LAGAUCHE et de Pierre AUBIN enfants. Ils jouaient à la guerre .... A propos , il faut que je vous raconte l’histoire des bois Lambert, ou plutôt celle de l’origine de leur nom. Saviez-vous qu’à Bezannes, trois "Lambert" différents, sans aucun lien de parenté ente eux, avaient laissé leur nom au village ? Tout près de nous, il y avait eu Monsieur Sylvain LAMBERT, le seul des trois qui soit bezannais. Arrivé en 1928 tout jeune instituteur, il fit pratiquement toute sa carrière ici, jusqu’en 1960, année de sa retraite. Année aussi de son décès. Tous les Bezannais, depuis ceux de 65 ans jusqu’à ceux de 35 ans, ont été formés par lui. L’école du village porte son nom. Et puis, au tout début du siècle, il y avait eu Monsieur Victor Lambert, personnalité rémoise fort connue qui était l’invité d’honneur de toutes les fêtes de notre commune à laquelle il fit de nombreux dons (parmi ceux-ci la bibliothèque sculptée qui se trouve à la mairie). Une rue porte son nom. Quant au troisième Monsieur LAMBERT, assureur à Reims, il faisait partie de la famille VÉROUDARD. Les VÉROUDARD, gros négociants en charbon, possédaient de nombreuses propriétés ici, parmi lesquelles la villa le Vieux Peuplier ; la ferme Sainte-Thérèse, le pavillon de chasse de la rue des Pressoirs, et les deux bois, qui appartiennent d’ailleurs toujours à leurs héritiers, le plus grand seul étant propriété de la branche Lambert. Quant au petit, celui du chemin d’Ormes, composé de lilas, de rosiers, d’arbres d’agrément retournés à l’état sauvage, il fut appelé ainsi par les gens, par les enfants qui y jouaient souvent, par simple comparaison avec le grand, comme ça, au fil des ans.
Il y a avait la fête nationale Le 14 juillet correspond à la fin de l’année scolaire. C’est au café de la place que l’on se retrouvait ce jour-là. De nombreux jeux avaient lieu dans le jardin : course de sac, tir à la corde, mas de compagne, et, après un go ?ter, la commune offrait un petit cadeau à chaque enfant de l’école.
il y avait les fêtes rurales La Saint Éloi et la Sainte Barbe, c’est également au café qu’on les fêtait, en alternance. C’est-à-dire que si une année on faisait la Saint Éloi au café de la place et la Sainte Barbe au café LALLUCQ, et bien, l’année suivante, c’est au café LALLUCQ que l’on ferait la Saint Éloi tandis que le café de la place se chargerait de la Sainte Barbe.
La Saint Eloi était simplement marquée par un vin d’honneur avec distribution de brioche ou de gâteau à la sortie de la messe, tandis que la Sainte Barbe, c’était une vraie fête !
A Bezannes il y avait parfois jusqu’à vingt pompiers. René Allard, Jules Sacré et les deux frères HERPET faisaient partie de la clique. Ils avaient été initiés à la musique par le père Couture qui habitait la petite maison de concierge à l’entrée du village, au bout de l’allée de tilleuls. Jules Sacré et Albert HERPET jouaient du clairon, tandis que René Allard maniait le tambour. C’était les plus jeunes recrues de ces années d’avant-guerre. Monsieur Albert HERPET (père de Madame DUCOISY) fut pompier durant de nombreuses années. ¿ son tour, il apprit le clairon aux nouvelles recrues. Afin de ne pas trop déranger les voisins, il les emmenait en plein champ, au bout de la rue des Pressoirs, derrière le pavillon de chasse qui se trouvait là (actuellement maison de Monsieur Raymond FONDEUR).
Il faut croire qu’ils étaient " à la hauteur " puisqu’un jour Monsieur Victor LAMBERT qui participait souvent à ces fêtes en tant qu’invité d’honneur les remarqua et les emmena jouer à Reims.
Mais peut-être ne connaissez-vous pas Monsieur Victor LAMBERT ?
Personnalité très en vue ; né à Bezannes, devenu chef caviste chez Pommery au démarrage de cette maison dont il devait participer à l’essor, délégué cantonal, conseiller municipal de Reims, Victor Lambert marqua fortement son époque et fut, en maintes occasions, le bienfaiteur de notre commune. En tout cas, le repas de la sainte barbe, c’était quelque chose ! Il durait la journée entière. L’ambiance était inénarrable, le petit vin de pays, rouge et blanc, coulait à flot et le repas était des plus copieux.
il y avait les fêtes culturelles Chaque année avait lieu une " soirée conférence ". C’était en fait une petite représentation théâtrale organisée par l’instituteur et qui se passait, évidemment, au café de la place. On installait une estrade dans le grand chartil du café, plusieurs rangées de siège, et on écoutait les jeunes du village jouer sketches et monologues. Ces " soirées conférence " avaient un grand succès. Cette année-là, parmi tant d’autres, le 28 février 1909, au café GODOU, l’instituteur Monsieur Rocher avait convié les bezannais. Sur scène, tous les enfants et tous les jeunes du village, dont les noms ne nous sont pas inconnus. Parmi ceux-ci, dans le rôle des de laitières, Mesdemoiselles VERNIER et DELARBRE (Madame Andrée MERCERON, elle avait alors 11 ans) dans des rôles " sur mesure ". En effet, toutes deux étaient laitières ... à la scène comme à la ville, puisque le soir, après l’école, elles aidaient leurs parents à la laiterie familiale. Elles allaient souvent dans les fermes chercher les lourds pots de lait que leurs mères iraient vendre à Reims, litre par litre, porte à porte.
Parmi les " enfants de l’école " la petite Hélène Laplanche (Madame Sacré). Parmi les " jeunes gens " anonymes, sans doute René ALLARD (il avait 14 ans).
et puis, il y a la fête patronale En plus des jeux divers, du tir à la carabine et du " gymnase ", portique avec agrès très en vogue au début du siècle, qui se trouvaient dans le jardin du café, il y a avait le bal.
C’était un bal comme on n’en fait plus. Une estrade était installée en bout de place, côté église, en travers de la route, laissant juste le passage pour les voitures. Les danseurs venaient de partout, des Mesneux, d’Ormes, de Villedommange, de tous les villages environnants. Il venait aussi de Reims en grand nombre, et puis tous les bezannais étaient là avec leurs amis. On dansait sur toute la place et dans la rue jusque devant la mairie. Et le café était plein de monde. Quand il pleuvait, on rentrait simplement l’orchestre dans le chartil du café de la place. Mais, paraît-il, il ne pleuvait jamais à la fête de Bezannes !
L’église Saint-Martin de Bezannes, classée monument historique depuis 1919, relève pour l’essentiel de l’architecture romane du XIème siècle. Il en va ainsi de la nef que prolonge l’admirable abside voûtée en cul-de-four. Cette abside, qui vient d’être restaurée en 2020, a pu retrouver son ancienne toiture de lauzes, pierres taillées venues de Bourgogne. La remarquable arcature à modillons a elle aussi été restaurée, de même que six des dix figures d’amortissement à la base des arcs (une grenouille, une chouette, des figures grotesques…)
La tour à deux étages qui surmonte le bras sud du transept date elle aussi du XIème siècle et rappelle la tour sud de la basilique Saint-Remi. Elle possède, à chaque étage, deux baies à voussure sur les côtés sud et est (baies géminées au deuxième étage), les côtés nord et ouest ne comportant qu’une seule baie.
La tour est surmontée d’une élégante flèche octogonale, ou clocher, datant du XVIème siècle, et rénovée en même temps que sa charpente en 1994. Le coq, œuvre de la société bezannaise des Métalliers Champenois, fut remplacé à cette occasion.
Le porche de la façade occidentale est de style gothique et date du XIIIème siècle, comme en atteste l’arc brisé et les colonnettes à chapiteaux ornés de feuillage qui supportent l’archivolte.
L’intérieur de l’église comporte une nef principale flanquée de deux collatéraux. Le maître-autel date du XVIIIème siècle, et le chœur fut décoré de peintures en 1900 par l’artiste rémois M. Namur. Les restaurations en cours ont permis de mettre au jour une étonnante litre funéraire, bandeau noir entourant les murs et ornés de blasons.
On peut encore voir sur le premier contrefort extérieur, face à la rue actuelle, une inscription funéraire du XVIème siècle évoquant le décès du laboureur Jehan Le Gentil et de son épouse Poncette Bailly. C’est l’unique témoignage de l’ancien cimetière qui entourait l’église sur trois côtés.
Une souscription auprès de la Fondation du Patrimoine est toujours en cours pour l’achèvement de la dernière campagne de restauration…
Vidéo - Présentation de Bezannes